Deux choses coincent avec la Dernière Fleur. D’une, la niaiserie. Adolescent, j’ai connu des adultes persuadés que si les nazis étaient devenus nazis, c’est parce qu’ils manquaient de culture. Les mêmes pensaient qu’internet résoudrait la pauvreté, abolirait la haine et permettrait à tous de ne plus travailler qu’une dizaine d’heures par semaine. En classe de CE2, j’ai bravement apporté mon kilogramme de riz à l’école. Et la Dernière fleur, c’est ça : l’opération « Du riz pour la Somalie » de la littérature.
De deux, la pauvreté. Je ne parle pas de la pauvreté d’exécution du texte et des images : l’absence de virtuosité ne me pose pas de problème de principe, à plus forte raison dans une « parabole en images » – c’est le sous-titre. Je parle de pauvreté intellectuelle et esthétique. Sérieusement, quelle est la vision du monde proposée par le livre ? Quel est l’objet ? Dire que les militaires sont des brutes et qu’il faut aimer la nature en plantant des fleurs ? Si le pacifisme et l’écologie n’avaient pu compter que sur des artistes comme James Thurber, le monde serait déjà intégralement à feu et à sang, le Bangladesh déjà sous l’eau…
On me dira que c’est pour les enfants, bla bla bla. Ouais. Bien sûr. Et la marmotte… C’est vraiment une excuse ? Faites lire ce bouquin à un enfant, ça l’ennuiera profondément. De quoi confirmer l’avis de Michel Tournier, pour qui écrire des livres pour enfants est plus périlleux que d’écrire des livres pour adultes. À la rigueur, selon son âge, l’enfant lecteur relèvera que les personnages sont souvent tout nus, et qu’on ne voit pas leurs zizis ni leurs zézettes.
En vérité, la Dernière Fleur semble faite pour les adultes qui s’imaginent avoir une âme d’enfant. Qu’un enfant, c’est forcément simple, pour ne pas dire simplet. Même l’ectoplasmique po-wé-siiie militaire du Petit Prince est une réussite en comparaison, ne serait-ce que grâce à toutes les ouvertures que Saint-Exupéry y a ménagées, et qu’on ne trouve jamais dans cette parabole sèche et dérisoire comme une brindille.