Dans une de ces petites villes du Texas, perdue au milieu d'une campagne déserte, où de temps en temps une boule d'armoise vient glisser sur la chaussée de la grand-rue, McMurtry fait surgir une troupe de personnages plus attachants les uns que les autres ; des jeunes mus par leurs désirs et des moins jeunes habités par des regrets. Dans le premier chapitre, l'auteur parvient déjà à installer presque tout son monde. Le ballet rondement mené s'arrête au terme d'une année correspondant à une saison de football scolaire, de novembre à novembre, quand, leur diplôme en poche, après avoir expérimenté d'innombrables figures de la sexualité (à peu près une nouvelle par chapitre, plus ou moins salée), les élèves de terminal se dispersent. La ville demeure avec ses habitants et ses bâtiments poussiéreux, mais le cinéma a fermé. Resté seul, Sonny ne la reconnaît pas : " Il mit la télévision et la regarda toute la matinée : au moins, ça faisait une voix dans la pièce ".
Cela se passe en 1952. Si McMurtry ne se pose pas en sociologue - étant heureusement assez bon romancier pour s'en passer - on comprend bien que la nostalgie qu'éveille son récit naît de la prise de conscience de l'effacement de modes de vie communautaires pratiqués dans des lieux publics, avec des rencontres nombreuses et sous le regard des autres (" tout se sait ici " apprend Sonny qui croit que son aventure avec une femme de quarante ans est un secret). Quitter ce monde, c'est entrer dans celui de la solitude avec pour seule compagnie des écrans de plus en plus petits.
(Je n'attribue pas 10/10 à ce beau roman car il faudrait que je donne 11/10 à Lonesome Dove du même auteur).