Je vais tâcher de garder mon objectivité sur ce bouquin, car je l'ai adoré bien que j'en reconnaisse les failles...
Au même titre qu'Harry Quebert, ce bouquin est un pavé. 640 pages (écrites assez serré). En gros, il faut suivre (et ne pas s'affoler au début). Heureusement, Dicker, comme tout (bon) auteur de polar qui respecte ses lecteurs, ne nous perd pas trop et fait régulièrement des piqûres de rappel au travers des (nombreux) dialogues.
L'histoire est, comme pour ces précédents livres (je pense à Quebert et les Baltimore) absolument captivante. C'est dense et rudement bien mené. Ça se croise, s'entrecroise, rappelle le passé, explique le présent, remet le récit en question... c'est vraiment la patte Dicker. La multitude de personnages, bien que souvent caricaturaux (j'y reviendrai) apporte une vraie richesse au récit, et les relations qu'ils entretiennent ou ont entretenu nous font souvent tomber de haut et tout reconsidérer. (vous savez le fameux: haaaaannnn c'est pour çaaaaa!). Les points de vue s'alternent de chapitre en chapitre, on connait la méthode même si ici, je n'en ai pas vraiment vu l'intérêt.
Venons-en maintenant, après cette entrée en matière assez élogieuse, à ce qui pêche, et qui a finalement toujours un peu pêché chez Dicker: SON STYLE. Ou plutôt: son absence totale (mais alors totale) de style. Et je dis ça avec (tendresse et) respect, malgré tout (le type a mon âge et est un auteur mondialement connu quoi). Car ce chenapan de (prodige?) Dicker nous embarque avec lui et son histoire donc il a tout bon. Mais, le gars, il ne s'embête pas trop avec la forme. L'ensemble est très pauvre, par opposition à une intrigue très riche ! Ce qui intéresse Dicker, c'est son histoire, et au diable métaphores, richesse de vocabulaire, prose ou jolies tournures de phrases... Il va droit au but et ne s'encombre d'aucune fioriture. On s'en fiche ou on crie au scandale, ça c'est votre profil de lecteur qui parlera.
En cela, cet auteur a beaucoup de détracteurs. Oui, c'est vrai, ce n'est pas "bien écrit". Mais en attendant, je n'ai pas relevé d'incohérences, tout se tient, donc le contrat "intrigue policière" est rempli. Pour le reste, on repassera (mais c'est pas grave, si?).
Les personnages de Dicker sont tous assez captivants. Ils ont chacun une histoire qui déteint sur le présent, une personnalité plutôt bien définie (hormis les deux héros Jesse et Derek, étrangement, que je n'ai pas vraiment réussir à saisir) et des relations très particulières les uns avec les autres (et c'est souvent tendu donc appréciable pour ma part).
En revanche, beaucoup de personnages sont très, TRÈS caricaturés. On se trouve face à des stéréotypes assez bidons. Le critique littéraire content de lui, le metteur en scène absolument infect et prétentieux, l'ex-mari collant et moralisateur, la maîtresse jeune et jolie obsédée par l'argent... C'est souvent facile et peu subtil. Le bon point, c'est que tout ce petit monde ensemble nous offre un récit très divertissant (un peu comme une télé-réalité sur NRJ12, les cerveaux en plus).
Enfin, on retrouve quelques thématiques qui semblent chères à notre auteur suisse... A savoir l'écriture (d'un roman, d'une pièce). Mais c'est ici au travers des personnages secondaires que ce sujet est disséminé au travers du bouquin (le flic un peu barge qui veut devenir metteur en scène, le critique trop critique pour écrire son roman...).
Qu'en est-il de l'intrigue, de son déroulement et de son dénouement?
Elle nous prend aux tripes dès les premières pages. C'est la force de cet auteur. On démarre très vite, on fait connaissance avec beaucoup de personnages et on plante rapidement le décor. Du rythme, du rythme, du RYTHME ! Joel Dicker mêle habilement l'enquête en 1994 et l'enquête en 2014, et puis plus le récit avance, plus les deux enquêtes se recoupent, se contredisent ou se complètent. C'est très bien mené même si certains éléments de l'histoire (notamment le plus important, à savoir cette fameuse "pièce" dont on attend la première avec impatience tout au long du bouquin) ne sont pas extraordinaires. Il est dommage de planter le décor dans un festival de théâtre sans l'évoquer plus que ça, par exemple.
Le final est assez cohérent, mais j'ai été bien moins interloquée/subjuguée/sur le c... que dans l'affaire Henri Quebert. Je me rappelle à l'époque mon anéantissement en tournant les dernières pages de ce livre, mes larmes (oui oui) face à cette incroyable histoire d'amour... (Oui je sais, la comparaison entre deux œuvres n'est pas toujours opportune, mais on la fera tous, alors zut.)
Ici, pour Stephanie Mailer, j'ai juste fait "mouais". Pas mal, pas mal, mais a été capable de bien, bien mieux. Et surtout plus original. Que ce soit pour les Baltimore ou pour Quebert d'ailleurs.
Et oui, M. Dicker, comme tout le monde (et malheureusement pour vous, les jeunes auteurs prodiges auteurs de best-seller), je "vous attendais au tournant" (dieu que c'est cruel d'écrire ça). Non pas pour juger de votre mérite mais bien pour voir si c'était possible de faire aussi bien (voire mieux) que Henri Quebert. Le pari était difficile. Je n'ai pas retrouvé cette fabuleuse alchimie entre roman d'amour dissimulé et roman policier, complétés de surcroît par un essai convaincant sur l'écriture. (oui, ça faisait beaucoup).
Je suis déçue, mais ce n'est pas grave, j'ai dévoré votre livre en une semaine et j'ai pris un pied d'enfer (et je me précipiterai en librairie à chaque nouvelle sortie comme une groupie)
Précipitez-vous malgré tout, car c'est un très bon roman policier dans lequel on s'immerge et on s'attache à beaucoup de personnages (même les plus odieux!). C'est encore une fois un page turner efficace que nous propose Dicker, mais sans les délicieux ingrédients qui avaient fait le succès et la qualité scénaristique de Harry Quebert.
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