Au niveau genre, c'est un conte de science-fiction, qui préfigure un peu la malice d'un Stanislas Lem, quoiqu'avec un peu plus de fantaisie.
Un savant découvre le moyen de dégager de l'énergie à partir de la destruction des liens entre les atomes. Cela détruit la matière, mais en échange cela libère une énergie spirituelle qui pourrait s'apparenter à Dieu. En gros, cette énergie prodigieuse génère une pollution qui ressemble bien à du mysticisme, qui rend fous ceux qui s'approchent trop près des machines.
La réflexion porte à la fois sur le fait que l'on n'arrête pas le progrès, même s'il peut complétement désorganiser l'économie, et sur la foi, qui peut également désorganiser la société. Le livre se passe à Prague et compte beaucoup de références topographiques à la ville et sa région. L'écriture est savoureuse et roublarde : on part de la rencontre initiale du savant Marek avec l'industriel Bondy, qui décide de commercialiser la machine malgré ses inconvénients. Puis on voit plusieurs exemples des désordres qu'elle crée à petite échelle : le pilote d'un bateau dragueur équipé du nouveau moteur se met à faire des miracles et crée autour de lui une religion qui assimile Dieu à son bateau.
Lors de la cérémonie inaugurant la nouvelle centrale électrique, les hommes politiques sentent le besoin de se mettre à genou et chanter des hymnes (l'affaire est étouffée). Les femmes se mettent à pouvoir lire les pensées des hommes. Jan Binder, propriétaire de manège, achète à son insu un moteur atomique et son manège se met à faire tourner la Terre. Même les universitaires, contaminés, n'arrivent plus à écrire des articles athées. Surtout, les usines se mettent à créer toutes seules, occasionnant une crise de surproduction qui ôte aux bien fabriqués toute valeur. Seuls restent les paysans, peu touchés, et qui profitent de la désorganisation pour s'enrichir au marché noir. L'Eglise, au départ hostile à l'Absolu, décide de tenter de le canoniser, tandis que les Franc-maçons, accusés de tous les maux, ne savent que faire. Surtout, les guerres de religion se multiplient et aggravent la famine, tandis que depuis Annecy, un nouveau Napoléon, Toni Bobinet, déclare la guerre aux machines. Bondy s'est réfugié à Papette, mais même là-bas il y a des troubles. Pour finir l'Absolu est banni et une nouvelle police est mise en place pour chasser les carburateurs restants, mais son efficacité laisse dubitatif.
L'humour tchèque a quelque chose d'à la fois bonhomme et un peu étriqué qui le rend fort savoureux. On souligne souvent le caractère prophétique de ce livre, écrit en 1922, qui traite sur le mode léger des conséquences de la découverte de l'énergie atomique. Je retiens surtout son inventivité dans les situations cocasses : sur un tel sujet, il était difficile de ne pas sombrer dans la répétition, mais la fantaisie de l'auteur se renouvelle avec beaucoup de malice, comme au chapitre XIII, où il s'adresse directement au lecteur et s'excuse longuement de devoir passer à des généralités quand il préfère le récit "réaliste" et les détails, ou les anecdotes ridicules sur Toni Bobinet. Le livre est rehaussé par les illustrations d'origine par Josef çapek, qui lui donne un faux air de livre illustré pour enfant.
C'est un récit de fantaisie fort drôle, dans une veine que je suis tenté de rapprocher de La fameuse invasion de la Sicile par les ours de Buzzati.