Gabriel Goggelaye se définit lui-même comme un médiocre. Après une jeunesse terne et un début de carrière provincial, il devient cependant, à la faveur du changement de gouvernement de 1981, chef de cabinet du ministre de la communication. Mais sa vie est troublée par des faits mystérieux : il pense être surveillé par des ombres depuis tout petit et le temps ne s’écoule pas de la même manière pour lui et pour son entourage.
Voici donc le premier roman totalement inédit de Dominique Douay depuis son retour à la science-fiction. Les éditions Hélios ont déjà réédité une partie de son œuvre, dont un roman partiellement inédit, Car les Temps changent, version longue d’une novella parue en 1978. Pour ce retour, peu de surprise quand aux thèmes : l’altération de réalité dickienne, ici sous la forme de manipulation du temps, est chère à l’auteur. Cette manipulation, que Gabriel ne découvre que peu à peu, est aussi présente dans le fond que dans la forme. Dans le fond, ce sont des scènes qui semble se répéter pour le personnage mais qui sont nouvelles pour son entourage. Ce sont aussi des anachronismes discrets comme l’utilisation d’un taser en 1995. Dans la forme, ce sont des chapitres ne se suivant pas chronologiquement, avec une intrigue répartie principalement sur une quinzaine d’années, entre 1982 et 1995. Mais ce sont aussi des agents situés hors du temps, chargés de surveiller Gabriel et s’incarnant en différents personnages. Tout cela crée un roman riche, nécessitant une lecture attentive et dont le début peut s’avérer un peu confus, mais dont l’assemblage au fil de la lecture, sans résoudre toutes les questions, est particulièrement prenant.
Mais La Fenêtre de Diane contient aussi un autre roman. Gabriel Goggelaye, GG, est le double romanesque de Dominique Douay, DD. Certaines scènes du livre, notamment au ministère, sont visiblement tirées de l’expérience de l’auteur. La mort de Philip Dick, une influence majeure de l’écrivain, est évoquée avec les amis de GG, des personnages aux pseudonymes transparents issus du milieu éditorial de la science-fiction de l’époque. L’émotion est palpable lors de l’évocation du suicide accompagné du meurtre de ses enfants de Christian Libos (Claude Cheinisse), que Gabriel a vu la veille du drame. Certes, on se dira que beaucoup de lecteurs actuels passeront à côté de ces références, voire trouveront curieux que Gabriel, ce « médiocre » fonctionnaire, connaisse le traducteur de James Ballard, mais l’évocation de ces personnages, aujourd'hui disparus pour la plupart, ne sont pas de simples caméos ; ils font partie de la vie de l’auteur et amincissent encore un peu la limite entre réalité et fiction. On pourra juste se demander s’il en est de même de certaines scènes fantasmatiques : Dominique Douay est-il monté dans une silver shadow en compagnie d’une star ou en a-t-il juste rêvé ? Je n’ai plus qu’à lui demander quand je le croiserai.
Roman dickien s’il en est, questionnant la réalité à plusieurs niveaux, La Fenêtre de Diane, malgré un début un peu confus, est un roman touffu et puissant. C’est aussi certainement l’œuvre la plus personnelle de Dominique Douay et ce qu’il sème de lui au cours du roman permet d’éviter la banalité d’un thème tellement parcouru. Après la lecture de ce roman, on ne peut que regretter que Douay se soit éloigné aussi longtemps de la science-fiction. Welcome back !