Orwell sans l'approfondissement
Passons outre les débats éternels sur l'écriture peu aboutie de ce roman, là n'était pas le but premier de l'auteur. "La Ferme des Animaux" est avant tout un fier résumé de ce qu'a toujours été & sera toujours le cycle des révolutions en notre monde.
En effet, chaque révolution a toujours débouché sur l'installation progressive d'un nouveau régime.. contraire aux valeurs clamées par cette même révolution. Que l'on revienne sur la Révolution Française désirant une démocratie populaire ou les récentes révolutions arabes dont les peuples revendiquent la fin d'une dictature, on finit toujours par trouver une solution qui ne convient guère au peuple.. pourtant celui-ci se plie, sous les forces de l'élite politique et/ou monétaire. Si l'expérience de Milgram a bien appris quelque chose, c'est que l'homme a besoin d'autorité, & qu'importe le degré de liberté qu'il obtient, il ne sait qu'en faire s'il n'a pas une tête pour le guider dans ses choix ; choix qui n'en sont finalement pas, puisqu'ils sont imposés, c'est donc là qu'on peut à nouveau parler de cycle libéral ou révolutionnaire, car la liberté est toute relative selon chacun.
Orwell désire démontrer le fonctionnement de ce cycle, qui est paradoxal & inévitable : d'une part, personne ne sait se diriger seul ; d'autre part, il y aura toujours un dirigeant présent qui finira par se servir de la liberté de chacun dans son propre intérêt. Si on illustre ce cycle très simplement, on part d'une dictature forçant chacun à ouvrir son esprit, ses yeux, dans le but d'entamer une révolution & revendiquer des droits ; vient ensuite l'instauration d'une société utopique, guidée nécessairement par des messies, qui peu à peu s'emparent du pouvoir & détruisent les principes originels de la démocratie pour en faire une dictature. Orwell dénonce avant tout les illusions dont sont victimes les animaux de la ferme, au même titre que la population russe durant l'occupation stalinienne, en Union Soviétique. La propagande, le bourrage de crâne, la manipulation, les désillusions & l'accès à l'éducation sont autant de facteurs dont l'auteur se sert pour parvenir à montrer l'abrutissement populaire général.
Cependant, même si les idées sont bonnes & ingénieuses, la métaphore s'épuise très vite & les pages semblent interminables, tant l'intrigue est absente & l'explication la remplaçant s'éternise. Orwell tourne en rond à plusieurs reprises &, son style littéraire étant déjà très lourd, on finit par s'ennuyer. Retenons toutefois les quelques phrases phares du roman, percutantes & pleines de sens : "tous les animaux sont égaux, mais il y en a qui le sont plus que d'autres" ; "il n'y avait plus maintenant à se faire de questions sur les traits altérés des cochons. Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l'homme & de l'homme au cochon & de nouveau du cochon à l'homme ; mais déjà il était impossible de distinguer l'un de l'autre".
Orwell livre donc, plutôt qu'un roman, un bel essai politique quant aux débouchés révolutionnaires (entre autres, le communisme totalitaire, mais cela prévaut pour les autres formes possibles), même si son oeuvre souffre d'une littérature parfois peu passionnante.
Il n'ajoute pas énormément de connaissances sur les systèmes politiques communs, mais l'allégorie des animaux dont il se sert permet aux âmes les plus ancrées dans un certain confort de s'apercevoir des maux qu'elles subissent, & à celles les plus utopiques d'apprendre à accepter une fatalité qui n'est autre qu'humaine.