Incontournable Octobre 2022


Cette brique de 350 pages de la collection "Médium" de la maison École des Loisirs m'aura évoqué l'univers maritime, le conte de "la petite sirène" et le film de Tim Burton "Édouard aux mains d'argent", avec une singularité quand aux dialogues, parfois portés par les éléments et les absents. J'ai trouvé à ce roman d'origine néerlandaise un certain charme, avec ses représentations diverses et son accent mit sur les handicaps, tout en abordant des thèmes parfois difficiles. Alors, plongeons y!


Emilia est fille du gardien du phare, mais on l'appelle "Loupiote". Un soir de tempête, la jeune fille constate avec consternation qu'il n'y a plus d'allumettes pour allumer la lentille. À bien des égards, Loupiote assume beaucoup de responsabilités dans ce phare, car son père a perdu la moitié d’une jambe et est souvent en état d'ébriété. Elle tâche donc d'aller acheter des allumettes, mais les choses ne se passeront pas comme prévu. Le phare est donc resté éteint en pleine tempête, causant le naufrage d'un bateau. De cet incident va découler deux choses: Le constat de la situation familiale de Loupiote et de leur dette. Barricadant le père dans son phare avec une armée d'allumettes, les instances du village envoie la jeune fille dans une grande maison sombre et isolée, celle d'un amiral, où, paraitrait-il, réside un monstre. Loupiote fait alors la connaissance de gens y vivant: Martha, domestique de son état, Lennie, son fils, Nick, sorte de gardien des lieux, et Edward, un enfant possédant des cheveux verts et ce qui s'apparente grandement à une queue. Plongée malgré elle dans un environnement plutôt hostile, la jeune fille doit travailler pour éponger la dette de sa famille, mais sa présence en ces lieux pourrait bien apporter une fraicheur grandement salvatrice.


Je disais donc que ce roman m'évoquait l'histoire d'Édouard aux mains d'argent, de Tim Burton. Tout comme dans ce film devenu culte, nous avons une résidence sombre en retrait d'une petite communauté, où suite au décès d'un homme très savant, on y découvre un "Monstre". Si Édouard et Edward n'ont pas le même handicap, l'un doté de mains ciseautés et l'autre une queue de triton, nous avons également un talent commun. Edouard avait la particularité de tailler artistiquement des buissons avec ses habiles doigts en métal, et j'observe le même talent en la personne de Lennie, avec des cisailles. Le parallèle m'amuse beaucoup.


Tout comme dans Edouard aux mains d'argent, le thème de la différence est assez central. Loupiote intègre une famille atypique, avec une Martha angoissée, un Lennie qui a une déficience intellectuelle, un Edward dont on a poussé la sidération physique à un haut niveau et un Nick mystérieux, qui semble avoir une conscience aigu du monde qui l'entoure. Il est bien sur fort triste de constater que Loupiote et Edward partagent le même mauvais traitement de la part de leur père. Dans le cas de Loupiote, c'est de la maltraitance et de la parentification. Elle a des responsabilités d'adulte qu'elle ne devrait pas avoir a assumer et qui sont source de stress pour elle. Je note aussi la grande dépréciation qu'on entretient à son endroit tout comme à elle-même. Loupiote se sent stupide et on lui fait sentir qu'elle l'est. Eward, pour sa part, est l'enfant ayant une force - ses compétences aquatiques forts conventionnelles pour un triton - mais qu'on a rabaissé au statut d'handicap. Grâce à un discours qui s’apparente beaucoup à de la sidération, on a fait croire à cet enfant qu'il est malformé. Un peu comme une version réelle de l'adage "on n'apprend pas à un poisson à grimper aux arbres", Edward est contraint d'apprendre à marcher. Et bien sur, il échoue lamentablement, ce qui n'aide pas ce garçon qui cultive un gros sentiment d'infériorité. On le voit notamment dans sa façon de rabaisser Loupiote quand à son analphabétisme et sa maladresse mémorielle. Lennie, enfin, est un personnage attachant. Considéré comme un simplet, il a néanmoins de grandes forces, physiques, mais aussi affectives. Il est loyal, tendre, serviable et gentil.


Les adultes aussi sont contrastés entre eux, dans ce roman. Madame Amalia, institutrice qui a été cherché Loupiote chez elle pour la transplanté cavalièrement dans la maison de l'Amiral, père d'Edward, m'a semblé bien austère. Elle se croit dotée d'une grande bonté, alors qu'en réalité, elle semble apprécier de pouvoir imposer sa vision des choses, sans la moindre considération pour les besoins et les opinions d'autrui. Elle m'a rappelé ces individus qui allaient chercher les enfants autochtones dans leur communauté pour les mener vers un pensionnat chrétiens, alors qu'ils se croyaient investie de la sainte mission d'éduquer ces "sauvages". Des gens qui se croyaient "bons", alors qu'ils causer beaucoup de mal.


Les personnages de la foire, qui arriveront plus tard dans le roman, inspire quand à eux beaucoup de compassion. Considérés comme des "bêtes de foire", ils n'ont plus le droit à leur humanité et sont sous le joug d'un gardien imbu de sa personne. Le personnage d'Oswald, de petite taille, avait pour sa part une grande empathie. C'est un de mes personnages préférés.


Je pourrais prendre encore beaucoup de temps pour détailler chaque personnage, qui sont, je le constate, plutôt nombreux, mais je condenserai en disant qu'ils sont diversifiés et assez différents les uns des autres. Mention spéciale à la maman de Loupiote, qui ne s'est pas laissée descendre au rang de "possession" par son premier mari. Et sur la maman d'Edward, un dernier mot: C'est elle qui semble inspirée du conte de la "Petite Sirène", car c'est sans voix et dotée de jambes dans un court laps de temps qu'elle rejoint l'homme qu'elle aime sur la terre ferme. Il est aussi notable que les sirènes de cette histoires sont beaucoup plus près de ce que le folklore maritime concevait des sirènes ( à savoir dangereuses et féroces) que les versions édulcorées modernes.


C'est un roman où les personnages sont bousculés par la vie, certains assurément plus que d'autres. On abordera la violence parentale, mais également le deuil, le sentiment d'impuissance, le jugement social, la peur du changement et les étiquettes stigmatisantes. Ce n'est donc pas un roman particulièrement joyeux, peu s'en faut. Toutefois, la lumière progresse dans cette histoire. Un papa qui prend acte d'être aller trop loin et qui cultive une culpabilité d'autant plus féroce qu'elle ne peut plus être noyée dans l'alcool. Un père absent qui craignait plus que tout de voir son fils être traité de montre, mais qui a fini par le traiter comme tel. Une maman décédée, qui veille sur sa fille, en dehors des frontières matérielles. Un petit garçon complexé et colérique qui tente de survivre à un monde qui n'est pas le sien. Une petite fille qui se découvre le même caractère déterminé que sa mère et qui voit au delà des jugements hâtifs. Une bande de pirates qui se montrent solidaires en dépit de leur statut de bandits. Une famille dépareillée qui s'était trouvée un équilibre grâce à une petite fille naturellement altruiste. La joie de progresser, de se découvrir des forces, de croire en soit.


Au début, il faut s'habituer au texte un peu décalé. Certains éléments, comme le vent, parlent. On ignore s'ils parlent vraiment ou si tout cela est la résultante de l'imaginaire des personnages, mais le flou entretenu peut déconcerter certains lecteurs. Je dirais que c'est un peu des deux. Parfois, quand on est proche de quelqu'un, on a l'impression qu'on peut entendre ses commentaires ou imaginer ce qu'il nous dirait. C'est à cette impression que je songe dans le cas des personnages, quand Nick entend Loupiote, quand Loupiote entend sa mère et Edward son père. On cultive un certain monologue intérieur et il n'est pas rare que l'influence des gens de notre entourage y prenne part, parfois malgré nous. Quand aux éléments, et bien, ça leur donne une personnalité Le vent se montre souvent moqueur et implacable et je ne doute pas que de notre perceptive, il ait l'air de cela, en pleine tempête. Nous ne sommes pas grand chose face aux forces de la Nature. Le texte a aussi parfois des alternances pas toujours évidentes entre les personnages. Je constate aussi qu'il y a relativement peu de descriptions du physique des personnages, hormis les "bêtes de foire".


Bref, malgré un style d'écriture parfois un peu confondant, j'ai trouvé le tout captivant et même doté d'une centaine poésie un peu mélancolique. Oui, ça respire la tristesse, mais le tout se referme sur l'espoir. Les personnages convergent vers une fin partagée et dont certains poursuivront leur route ensembles. les personnages moins sympathiques sont en reste, ce qui demeure dans le ton du conte moderne: les gentils gagnants, les méchants perdants. Les personnages plus nuancés trouveront une chance de faire amande honorable. La fin s'ouvre sur des possibles heureux. Un bon roman qui malgré certains aspects similaires à d'autres histoires, reste original dans plusieurs angles. Et je suis toujours heureuse de voir un personnage féminin avoir suffisamment d'estime de soi pour aller de l'avant, surtout une force tranquille comme Loupiote, qui use de sa colère seulement quand il le faut. Parce que oui, la colère peut être une force, surtout quand il s'agit de se battre pour la justice, le bien-être de soi et des autres et la liberté. Ah! Et je suis ravie de voir enfin un garçon-sirène! Enfin...un triton, plutôt.


Ce roman est illustré dans les entre-parties, et s'intitule très justement "Lumière" en néerlandais, son titre original.


Pour un lectorat à partir du troisième cycle primaire, 10-12 ans.

Shaynning

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