La Fille du Roi des Elfes est probablement l’œuvre la plus connue de Lord Dunsany (auteur ayant pourtant de nombreux livres à son actif, à commencer par les Dieux de Pegāna), et un repère temporel important dans la fantasy (et par extension dans toute la littérature).
Pour faire simple, Dunsany est à la fantasy ce que Tolkien est à George R. R. Martin, Tamora Pierce, Robin Hobb et autres David Eddings.

Le défaut de ce livre, s'il en est un, est d'éclipser le reste de ce qu'a fait Dunsany. Je recommande donc ses nouvelles, mais surtout sa première publication, les Dieux de Pegāna, qui témoignent de toute l'imagination et la passion du Lord. Car au delà de la cohésion de son univers, on trouve dans les récits précédents de ce cher Baron Irlandais les éléments qui permettent de, sinon comprendre, se faire une idée de ce qu'il écrit.

Car il faut savoir aller au delà de simples noms.

Nous n'avons pas accès aux pensées de tous les personnages, nous ne savons pas ce que nous voulons savoir... l'auteur nous guide mais refuse que nous sachions tout. Il nous entraîne dans des contrées fantastiques qu'il n'appartient qu'à nous de peupler avec nos propres expériences réalistes, faute de mieux. Sans faire soi-même un effort d'imagination, le livre pourra sembler incomplet.
Le Lord nous refuse un univers entièrement construit par ses soins, et nous rappelle (avec plus ou moins de subtilité) que nous ne somme pas véritablement à l'étranger. La réalité véritable nous est interdite, car Dunsany sait qu'il manie des personnages mythiques (Alvéric et Orion), mais il interdit de la même manière l'égarement total : ce n'est peut-être pas notre propre terre, mais c'est sa jumelle, ou ce qu'elle aurait pu être.

Et en refusant de tomber dans l'un ou dans l'autre, Dunsany manie d'une part le réalisme et d'autre part le fantastique.

En ce sens, Dunsany nous propose ce que nous appelons aujourd'hui la Low Fantasy, fortement teintée d'Héroic Fantasy, voire de Sword and Sorcery -- on ne peut pas dire qu'il ait tout inventé, mais il faut admettre qu'il a posé beaucoup de bases.
Alvéric foule une terre qui est à portée de nos pieds, et seules les années nous séparent de lui. Orion est un pont entre deux mondes qui ont leur manières de nous être familiers, tout en étant étrangers. Lirazel et son père, eux, représentent quelque chose que nous ne pouvons atteindre, sinon peut-être par les rêves. Ce relief au sein même de l'univers nous fait oublier que ces personnages sont tous aussi irréels les uns que les autres...
Peut-être est-ce là une façon de nous donner envie d'aller vers ce qu'il est impossible d'atteindre... et le livre est un formidable moyen d'arriver à cette fin. Ne voudrait-on pas, après avoir fini ce livre, visiter le Palais du Roi des Elfes (duquel on ne peut parler qu'en chanson) ? Ne voudrait-on pas rencontrer Lirazel, lui voir une tête couronnée de glace et une marche grâcieuse ? Ne voudrait-on pas, encore, admirer l'immensité des pouvoirs de Ziroonderel ?
Dunsany se retient de trop exposer. La suggestion permet à de choses plus belles que celles de la réalisation de naître dans nos esprits. Et l'auteur sait en jouer.

Edward Plunkett, Baron de Dunsany, c'est aussi un athlète, un guerrier et un chasseur. Ainsi nous retrouvons la bravoure auprès d'Alvéric, la sauvagerie de la traque auprès d'Orion, et l'endurance quand il faudra retrouver le pays elfique. Un auteur, en somme, qui parle de ses passions, qui utilise son propre savoir et savoir-faire afin que l'histoire nous prenne vraiment.
Il n'est pas l'inventeur des épées légendaires telles Durandal, Excalibur, Hauteclaire ou Arondight. Il n'est pas l'inventeur des princesses magiques ou même des Elfes. Il n'est pas non plus l'inventeur des quêtes épiques de héros tourmentés, Ulysses et Thésées... Mais en revanche, il est le premier à proposer d'utiliser ces éléments pour construire un monde fait de ses propres mythes et de son imagination véritable.
La Fille du Roi des Elfes n'est qu'un fragment (un gros fragment.) de cette création.

Son histoire se déroule sur une très longue période, et la longueur du chemin se fait ressentir. N'attendez pas ici un trajet confortable, où le guide sera également votre monture et votre hôte... Dunsany propose une lecture laborieuse, une lecture qui sait faire mériter l'histoire à son lecteur.
Et c'est peut-être là son charme : il parvient à nous faire vivre ce que vivent ses personnages par de très simples moyens, sans chercher à inventer de fioritures inutiles.

Sa lourdeur, c'est sa légèreté.
Stalacyn
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le 22 janv. 2014

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