Autant l'histoire de Léa et Chéri était lumineuse et enlevée autant le retour de la guerre de Chéri le laisse maussade et apathique, aux antipodes de sa vie d'avant, privé de sa verve cruelle et impertinente. Le ton de la fin de ses aventures est donc tout différent de celui de ses joutes amoureuses avec sa vieille maîtresse. Leurs retrouvailles sont un monument d'ambigüité et de désenchantement. Le miracle, c'est que l'écriture de Colette enflamme ce roman de la dépression pour lui donner une coloration crépusculaire magnifique, dépourvue de toute pesanteur. Et pourtant Chéri se traîne et se lamente, étranger aux événements qui ont lieu autour de lui. On connaît l'issue dès le départ mais on est fasciné par le pèlerinage intérieur du héros, désormais étranger au monde dans lequel il vit, alors qu'il en était le paradigme incarné avant que la Guerre et Léa ne le malmènent. La Guerre et Léa, ces deux cataclysmes d'égale ampleur, qui donnent une idée assez fidèle de ce que le diptyque de Colette embrasse, tout en subtilité, sans jamais faire étalage de sa virtuosité ou se perdre en analyses superfétatoires. Une glissade au ralenti vers l'inéluctable qui ne peut manquer d'émouvoir et de marquer.