« Des bonheurs de toutes sortes se sont mis à prospérer. »

Tour à tour Tchécoslovaque dissident, Tchèque francophile, traducteur d’une langue dans l’autre et de l’autre dans l’une, écrivain en tchèque et finalement en français, Patrik Ourednik est à mettre au rang des auteurs qui savent combien la langue est précieuse, et j’aime à l’imaginer tenant table à demi ouverte dans le bistrot le plus proche de chez lui. (J’en ai connu, des piliers de bistrot qui vous laissaient parler longtemps, avant de déclarer lapidairement « l’adoption d’un cadre autoritaire soulage du désarroi d’une responsabilité sans ressources », p. 151)
Pour le plaisir – partagé ? quelquefois oui ! mais jamais inconséquent – de commencer à danser sur les futures ruines de notre planète, La fin du monde n’aurait pas lieu se pose là. L’exercice n’est pourtant pas simple : il suppose une structure assez légère et solide en même temps pour aboutir à un texte qui ne tourne ni au délire postmoderne purement formel, ni à l’essai de plomb dans un gant romanesque de velours. Patrik Ourednik met en place cette structure, à la fois très différente de celle d’Europeana et dans une optique similaire.
Certains événements du récit ont beau être datés, La fin du monde n’aurait pas eu lieu est un gigantesque galimatias de dates (rien que ce titre !), de données statistiques ineptes (cf. le tableau à trois colonnes et une ligne, page 98), de pur baratin pseudo-technique (« Il aurait pu ajouter : “Nous allons prendre des dispositions fermes et énergiques qui devraient à terme nous permettre de pouvoir envisager à l’horizon de la prochaine prise de décision une sortie rapide de la crise.” », p. 109), de propos vaguement autobiographiques, de méta-littérature, de géographie, de politique et de géo-politique vagues. Avec une photo du Feyenoord kid.
Quant au succédané de héros qui tient lieu de fil rouge au livre, il a exercé la fonction de « conseiller auprès du président américain le plus bête de l’histoire du pays », ce qui laisse l’embarras du choix. (Précisons toutefois qu’une phrase comme « C’était faux, mais dorénavant vrai. » (p. 121) a été écrite alors que le président des États-Unis ne portait pas un nom de canard !)
Il faut s’y résoudre : La fin du monde n’aurait pas eu lieu est un jeu. Comme tous les bons livres, il explore le langage. « Le Sauveur était venu au monde en tant que Verbe incarné mais, comme l’écrivit plus tard l’un de ses amis, le monde ne l’avait pas entendu. Après le Logos inaudible, le temps était venu de l’Epilogos fracassant : maltraité, lapidé, éventré, assassiné, accablé : tel était le verbe à la charnière des siècles. » (p. 109) : même quand il joue à être Léon Bloy, Ourednik joue, précisément. Dans La fin du monde n’aurait pas eu lieu, les croyants sont appelés « les craignant-dieu », Hitler « Adolf le Boche », et échanger est « un autre mot très à la mode à l’époque » (p. 93)
Et un éloge de la littérature, sous la plume de Patrick Ourednik, donne ceci : « Les livres ont pour objectif premier d’éviter le suicide collectif. Leur rôle est social. Il arrive que quelqu’un se suicide après avoir lu un livre : il s’agit d’un accident. La majorité des lecteurs ne se suicident pas, car ils savent que leur envie de renoncement est partagée par l’ensemble des lecteurs sensés. Ça soulage, et provoque en même temps un sentiment de solidarité : je ne peux pas leur faire ça, à mes compagnons d’infortune, mes frères en souffrance. » (p. 73)

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le 3 mars 2017

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