L'art (parfait) de la digression
Jubilatoire ! Il n'y a guère d'autre mot pour décrire ce livre, cet "ovni littéraire", comme dirait ma patronne. D'abord conseillé par une collègue, qui m'a fait le plaisir de me faire partager quelques extraits durant sa propre lecture, j'avais très envie de poursuivre la découverte par moi-même, et quelle bonne surprise de cette rentrée littéraire !
Tout commence par cette femme qui veut tuer son infidèle époux en lui cuisinant - oh ironie ! - son plat préféré, traditionnellement confectionné par feu la maman dudit époux, et donc haïe belle-maman de la criminelle en puissance : des raviolis. Monsieur a toujours été médiocre, et ses excuses pitoyables, "je l'ai sautée par inadvertance". Elle ourdit sa vengeance depuis des lustres, et quand elle touche enfin à son but, merde, le fils des voisins débarque, jeté par ses parents paniqués. Voilà notre pauvre cocue désemparée, elle ne peut décidément sacrifier le fils des voisins pour tuer son imbécile de mari... la voilà obligée de concocter un autre plan à la va-vite pour empêcher le plat d'atterrir sur la table, et c'est là qu'elle constate à quel point elle est peu douée pour l'urgence. Cela lui rappelle d'ailleurs une anecdote...
Et c'est à ce moment que l'on va se retrouver embarqués, nous lecteurs, dans une toute autre histoire. Une histoire qui va nous emmener sur une autre histoire, qui va nous emmener sur une autre histoire, et encore... De digressions en digressions, on se dit que l'on ne va jamais retrouver notre vengeresse désoeuvrée. Mais ce livre est un alpha et un omega, un cosmos dans lequel se débat un chaos complet et pourtant ordonné. Les histoires sont plus passionnantes les unes que les autres, les personnages fascinants de complexité, et comme le roman dans le roman, en mériteraient tous un pour eux seuls. Je conçois à quel point mon propos est peu clair, mais il faut lire la Fractale pour me comprendre. Je n'avais jamais vu ça. Des digressions pareilles, je n'en avais connues que pendant mes cours de philo en classe prépa (oui, en une heure, on était passés du Léviathan de Hobbes à "les portes de pôle emploi s'ouvrent à vous telles les portes de l'enfer", je ne pensais pas voir ce record battu un jour, c'est la fin d'une époque).
Mais le meilleur, oui, je dis bien le meilleur de tout ça, c'est la fin. Ah, une fois n'est pas coutume, je ne vais pas spoiler, même si j'en meurs d'envie, ça me brûle les doigts de taper cette révélation sur mon clavier. Sans vous dévoiler l'intrigue, on arrive sur une fin surréaliste, on se dit, bof, c'est un peu facile, et finalement, dans le dernier paragraphe, on atteint le paroxysme de cette ironie dont est teinté tout le roman, pour arriver sur un éclat de rire, sur un éclat de génie ! Et en plus, c'est bien écrit.
Un vrai bon moment avec ce page-turner, qui se lit presque trop vite. Et sinon, la vie est dégueulasse quand même (c'était pour la morale de l'histoire, le karma, tout ça...).