Un livre de droite anticapitaliste

La perspicacité est une denrée rare en cette période où règnent l'invective et le politiquement correct. En dynamitant de nombreuses idées reçues et en décrivant la France des gilets jaunes avant même leur émergence, Guilluy peut légitimement prétendre au statut de prophète. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : s'il peut s'enorgueillir d'avoir annoncé avant tout le monde des mouvements politiques de fond, cela reste un livre de polémiste, inséré dans un militantisme bien compris. La méthode scientifique du géographe consciencieux, si elle est vaguement présente au chapitre 2 pour construire une "carte des fragilités sociales" basée sur un ensemble de données économiques et sociales, n'est pas vraiment la valeur ajoutée de ce livre.

Son intérêt principal ne réside pas, pour moi, dans l'analyse de la France des gilets jaunes qui serait "délaissée par la mondialisation" face à des métropoles et leurs banlieues mondialisées qui profiteraient à plein régime du libre-échange. Cette analyse-là est un vieux relent du marxisme congénital de l'auteur qui ne prend d'ailleurs jamais le temps de prouver en quoi ce serait le "libre-échangisme mondialisé" qui serait responsable de la désindustrialisation, du chômage de masse et de la disparition des classes moyennes, et non pas les taxes prohibitives infligées aux entreprises, les charges salariales qui pèsent sur les travailleurs et les impôts sur le revenu acquittés par cette même classe moyenne. Si sa haine du capitalisme lui a permis d'avoir raison en prédisant la mort du PS et l'émergence d'une recomposition politique autour d'un axe libéral/populiste (ce qui est effectivement arrivé), je fais le pari qu'il a tort lorsqu'il prédit l'accaparement inexorable de toutes les richesses par les métropoles au détriment de la France périphérique, aussi sûr que Marx avait tort de prédire l'enrichissement inexorable de la bourgeoisie au détriment du prolétariat.

Non, le vrai trésor de ce livre, c'est son analyse ethnique de la recomposition géographique et sociale de nos territoires. D'abord, parce que c'est interdit : on ne l'entend nulle part, ou à demi-mots, et ça fait du bien de voir réhabilitées les intuitions populaires. Ensuite, parce que c'est vrai : quoi qu'en disent les apôtres du "vivre ensemble" (les mêmes qui ont les moyens de vivre entre eux), être en minorité n'est jamais facile et le quotidien des gens est largement influencé par les valeurs et les codes sociaux de leurs voisins et collègues. Enfin, cette analyse ethnique est un trésor parce qu'elle restitue la profonde bienveillance des Français : le racisme est loin d'être une valeur en vogue dans ce pays, bien au contraire, et c'est tout le mérite de Guilluy de montrer que l'immigration massive peut être mal vécue pour d'autres raisons que la haine.