On ne naît pas mère, on le devient - Roman des étudiants 2015, 1ère lecture
"C'est quand je suis tombée enceinte que j'ai décidé d'arrêter d'être triste, définitivement, et par tous les moyens". C'est ainsi que commence le quatrième roman de Justine Lévy (Mauvaise fille). Ce qui dénote en premier lieu c'est l'écart entre le titre "La gaieté", cette première phrase et le ton du roman. On suit Louise dans le désordre chronologique de sa vie, qui nous la conte après qu'elle ait pris une décision radicale, un virage complet. Justine Lévy livre ici un livre autobiographique - en continuité avec "Mauvaise fille". Elle revient sur la mort de la mère de Louise qui coïncide avec la naissance du premier enfant de Louise, celui pour lequel elle décide de mettre de côté la peur, la tristesse et la mélancolie - cette "tristesse" sans objet. Cette fois elle ne parle plus d'elle en tant que fille, mais en tant que mère en devenir. On assiste alors à une séance de psychanalyse pendant laquelle il faudra "tuer la mère" pour devenir soi-même mère. Le récit ressemble aussi à une longue crise d'hystérie calmée de temps à autre par un gentil papa qu'on dérange aujourd'hui sans cesse pour ne pas l'avoir dérangé enfant, et d'un mari aimant et aussi un peu aveugle. Une crise d'hystérie livrée en brut, sans plus-value littéraire. On pense notamment au récit filmique de Maïwenn qui dans "Tout est pardonné", rejouait , en fac-similé avec un nouveau prénom, une scène de violence dont elle était victime enfant devant son vrai-faux père incrédule. On se dit en lisant que c'est un peu gênant (Maïwenn avait su bien mieux parler de la souffrance des enfants dans "Polisse") et pas forcément pertinent de livrer brutalement sa souffrance juste pour dire "je vais mieux, mais regardez/lisez comme j'ai été malheureuse". Pourtant des mères qui hantent les vies et les récits, la littérature n'en manque pas, prenons simplement exemple sur Marguerite Duras qui a su s'évader du simple champ de son vécu personnel pour faire de sa mère un personnage littéraire aux voix et répercussions multiples, le "soi" s'échappant du récit pour se répercuter en mille personnages.
Le livre est écrit - et se lit - comme un souffle. Une phrase commence au début d'un chapitre et ne s'arrête presque qu'en fin de chapitre. L'écriture a alors quelque chose d'artificiel, l'écrivain prenant des postures attendues. On le sent dans l'énumération des peurs de l'anti-héroïne. Mais ce récit est surtout une longue plainte avec une héroïne - et c'est intéressant - qui ne veut pas en être une parce qu'elle préfère le confort et la sécurité ainsi que l'amour qu'on ne lui a pas offert enfant. Elle a été chahutée entre un père chez qui tout était trop blanc - sauf les belles-mères à la Cendrillon - et une mère chez qui tout était sale, absent. Une absence qui pourtant envahit tout le livre - à la recherche des fantômes d'autrefois. Justine Lévy-Louise remontre le fil des souvenirs, il lui suffira juste de trouver le bon, de l'accepter et de le pardonner pour faire son deuil = devenir mère pour de bon. Louise parle beaucoup de ses enfants, de son dévouement, du fait qu'ils partiront un jour. Elle pense avoir été une "mauvaise fille", s'attache à ne pas être une mauvaise mère et nous dit surtout - et ça ne va pas forcément de soi dans la société actuelle - qu’une femme ne se sent pas forcément naturellement mère non pas dans son corps, mais dans sa tête.
C'est un livre-expiation-introspection comme il en fleurit beaucoup. Le lecteur aimerait simplement que cela serve à étudier quelque chose, plus qu'à dire, en substance "j'ai été malheureuse, mes enfants devront être contents contents contents". Nous devenons des psychologues littéraires. En même temps, même si c'est trop rapide car le roman est court (130 pages environ), Justine Lévy pose quelques questions sur l'héritage émotionnel et l'éducation que nous souhaitons offrir à nos enfants - bref la transmission inconsciente ou comment on ressemble à ses géniteurs sans le vouloir et comment on voudrait que nos enfants ne nous ressemblent pas dans nos erreurs. Mais elle ne dit pas non plus grand chose de "nouveau", dans sa posture d'écrivain qui enquête sur soi... Chaque femme trouve que devenir mère est un événement unique et extraordinaire, alors que pour le lecteur extérieur la maternité n'est qu'une intimité que chacune est libre de porter en un symbole de changement, de commencement, et parfois même de guérison.