Très étonné par la note : Je l'ai lu en espagnol, alors c'est probablement que la traduction ne passe pas bien.

Cette route est celle du "dernier voyage du Demeter" dont un film d'horreur réussi, nous a parlé récemment. C'est de l'horreur gothique à son meilleur. Pleine de fiel cauchemardesque dans une lente descente vers une réalité floue.

La route de la glace et du sel est présentée sous forme d'extraits du journal de bord d'un capitaine de navire du 19e siècle qu'il entreprend avec sept membres d'équipage, transportant une cargaison du port Varna (en Bulgarie) à Whitby (en Angleterre). Cependant, durant le voyage une présence malveillante se manifeste à plusieurs reprises et décime l'équipage.

L'épisode est tiré du "Dracula" de "Bram Stoker" (1897), mais Zárate l'élargit en se concentrant sur la figure du capitaine et sa propre perspective : D'abord, le vampire n'est jamais identifié comme tel, puisque ni le capitaine ni son équipage ne connaissent l'identité ou la nature de l'entité diabolique qui peu à peu décime leur nombre. De plus, l'histoire est enrichie en expliquant les différentes manières dont les créatures de la nuit sont considérées dans la tradition folklorique de plusieurs pays dont les côtes parcourent le navire, qui ont été utilisées par Stoker lui-même comme source d'inspiration lors de la création du vampire mythique de son propre roman. Le principe est assez simple, mais son efficacité réside précisément dans cette simplicité.

Mais en fin de compte ce qui ressort le plus de cette œuvre c'est la création du capitaine comme un personnage profondément individualisé, homosexuel, qui se défends de montrer le désir que provoque en lui les marins de son équipage car il a peur de reproduire un drame précédent et pense devoir cacher ses préférences sexuelles pour maintenir la discipline alors que son navire se précipite dans l'horreur.

Le capitaine a géré des dizaines d'équipages. Il rêve de rêves familiers : goûter le sel sur la peau de ses hommes, passer ses mains sur leur poitrine. Il aspire à la chaleur d'un amant qu'il ne peut pas avoir, fantasme de chair et d'étreintes frénétiques. Tout cela, il l’a fait auparavant, c’est une routine, une constante, comme les marées.

Le journal de notre capitaine parle de faim, de soif de sang (mais c'est celle qui enfle la verge que gagne l'excitation), de luxure et du désir de goûter la chair salée de ses coéquipiers. C’est une lecture assez érotique. Mais le ton du journal change à mesure que le voyage malheureux se poursuit et que la frontière entre réalité et rêve s'estompe.

Le désir est "queer" avec cette soif du capitaine pour le sel sur la peau de l'équipage qui disparaît peu à peu au fur et à mesure qu'elle est remplacé dans le récit par la soif de sang du vampire. Pour l'auteur les deux soifs ne sont pas du tout de même nature, celle du capitaine même si son frame passé l'oblige à la retenir, elle est belle, celle du vampire non. D'ailleurs se dernier va essayer de déstabiliser la capitaine en lui rappelant ce drame qu'il a vécu et en voulant le faire culpabiliser. Mais aussi perturbé que soit le capitaine à ce moment là, il saura répondre. En cela le vampire fait utilise l'homophobie pour tenter de "séduire" le capitaine...

Zárate fait un excellent travail en créant un personnage complexe et bien développé et en faisant de lui le narrateur de son histoire, en lui permettant d'être abordé du point de vue de quelqu'un dont la terreur grandit à chaque instant parce qu'il ne comprend pas ce qui se passe autour lui.

Les thèmes de la pourriture et de la décomposition du navire sont parallèles à la mort littérale des coéquipiers (et des rats).

C'est un livre à expérimenter, pas à "dévorer". Le rythme est lent et peut s'avérer être un défi pour certains lecteurs non habitués à l'horreur gothique, mais il propose avec poésie une lecture incroyable en créant la tension et en brouillant la ligne de réalité.

Il s’agit d’une œuvre littéraire ambitieuse qui peut être approfondie si le lecteur le souhaite.

HenriMesquidaJr
8
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le 16 déc. 2023

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HENRI MESQUIDA

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