« A hard rain »…
Qui raconte ? Un enfant ou un adolescent anonyme, à la recherche de son petit frère. Où cela se passe-t-il ? En Hongrie, en tout cas dans un pays où on parle hongrois et où s’affrontent Russes et...
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le 19 janv. 2020
Qui raconte ? Un enfant ou un adolescent anonyme, à la recherche de son petit frère. Où cela se passe-t-il ? En Hongrie, en tout cas dans un pays où on parle hongrois et où s’affrontent Russes et Américains. Quand cela se passe-t-il ? « Après l’avant-dernière guerre. Ou avant l’après-dernière guerre. Je ne m’en souviens plus très bien » (p. 49). De quoi cela parle-t-il ? D’une errance, comme beaucoup de romans.
Sans être aussi déroutant que le roman de Diderot dont le paragraphe ci-dessus constitue une laborieuse tentative de pastiche, La Guerre après la dernière guerre semble osciller entre le roman de survie post-apocalyptique parfois assez kitsch d’une part, et d’autre part un travail plus recherché littérairement. Autrement dit, si l’on trouve d’un côté quelques passages obligés du genre – bombardements, rencontre de mutants, zone irradiée, etc. –, on a de l’autre ce qui me semble des bribes de réécriture du mythe d’Orphée et Eurydice (1). Ajoutez-y un humour quelquefois étrange – un soldat américain nommé Jimmy Hendricks et qui joue de la guitare, oui…
En vérité, il me semble qu’on peut lire le roman de Benedek Totth comme un conte – à deux nuances près.
D’abord, c’est un conte raconté par un de ses personnages. Or le récit est systématiquement entrelardé de remarques personnelles. (On y gagne en richesse ce qu’on y perd en rythme.) Ainsi, ce commentaire d’un bombardement : « il ne manquait que le pop-corn pour se croire tout à fait au cinéma. À vrai dire, je n’ai jamais aimé les films de guerre. Je ne crois pas que si la télé et le cinéma existaient à nouveau un jour, je serai capable de regarder quoi que ce soit où des bombes éclatent. Et de toute façon, sans les odeurs, ça manquerait d’authenticité » (p. 46).
Ailleurs, les conseils de survie d’un narrateur élevé par et dans la guerre : « J’aimais bien le pain grillé et les biscottes, surtout avec du beurre, mais ce sont des aliments dangereux parce qu’ils croustillent et qu’on devient pratiquement sourd pendant qu’on les mâche » (p. 75). Ailleurs encore, une image poétique surgit : « l’une des bouches d’égout était ouverte, comme si l’enfer était une taverne illuminée » (p. 43).
Le narrateur n’étant ni candide enfant plongé dans le feu, ni chien de guerre, son regard vaut qu’on s’y attarde – « ce n’était pas une bonne idée de vouloir flinguer le seul homme en vie à part moi » (p. 53). Toutes proportions gardées, imaginez Holden Caulfield dans le monde d’Apocalypse Now…
L’autre particularité de ce conte, c’est que la mort y fait partie du paysage. Ni fin du voyage, ni même zones meurtrières entre lesquelles il s’agirait de slalomer, elle se manifeste jusque sur la couverture, qui illustre par ailleurs une photographie présente dans le récit : à perte de vue, le sol y est couvert de crânes. À l’arrière-plan, un train, et tout au fond un champignon nucléaire. Ailleurs dans le récit, un mur de cadavres et des corps qu’on déblaie comme des gravats.
Autrement dit, La Guerre après la dernière guerre reprend les éléments d’une guerre qui a bel et bien eu lieu. « Je n’ai plus de mots. Rien que des images. Il n’y a plus de mots. J’ai tout dit. Ça n’a rien d’humain » (p. 199) : les dernières phrases rappelleront forcément quelque chose à tout lecteur de témoignage valable sur la Deuxième Guerre mondiale.
C’est peut-être ce qui justifie la référence au « réchauffement climatique », qui semble arriver comme un cheveu sur la soupe : « D’après Jimmy, ces cadavres n’étaient pas victimes de la guerre, mais de leur propre cupidité, et il était effectivement difficile de concevoir qu’on ne puisse penser qu’aux affaires alors que le monde alentour était à feu et à sang. Pourtant, plus j’y pensais, moins je trouvais ça surprenant. […] les gens avaient continué à avancer comme des chars d’assaut, et quand il s’était avéré que les ours blancs n’étaient plus les seuls à en baver, il était déjà trop tard » (p. 104).
(1) On trouve ainsi un chien à trois têtes, version mutante de Cerbère. Et dès le début du roman : « Je me suis retourné un instant, et tant pis si j’étais transformé en statue de sel » (p. 18). Cela ne fait certes pas référence au mythe d’Orphée et d’Eurydice, mais à celui de la femme de Loth. Le motif du regard en arrière mortel assure la liaison entre ces deux mythes.
Créée
le 19 janv. 2020
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