Vulgariser la guerre d'Algérie
A priori, je ne suis pas trop fan de ce genre de livres : le machin raconté à mon fils. Là, le titre est un peu plus subtil et j'ai été attiré par le nom de Benjamin Stora dont je connais la qualité des travaux qui sont relativement objectifs sur la guerre d'Algérie.
Cet ouvrage est un peu plus fin que d'autres dans le genre car Stora ne nous fait pas croire qu'il répond aux questions de son fils ou qu'il ne s'adresse qu'à lui ou à des enfants : le titre montre que l'ouvrage est destiné à un public plus large composé d'honnêtes hommes et femmes désireux d'en savoir un peu plus sur ce conflit majeur et capital pour la France de la deuxième moitié du XXème siècle. Stora affirme répondre ici aux principales questions qu'on lui pose en général sur cette guerre dont il est un des principaux spécialistes.
Premier élément en la faveur de cet ouvrage, et démontrant s'il en était besoin l'honnêteté de son auteur, Benjamin Stora commence par lui-même, en racontant brièvement son histoire, lui l'enfant juif de Constantine né là-bas en 1950 puis contraint de quitter le pays avec sa famille en 1962, lui qui a donc été marqué par ce pays et par cette guerre.
Un conflit important parce qu'il a laissé beaucoup de traces de part et d'autres de la Méditerranée, parce qu'il gêne encore les relations entre les deux pays, parce qu'il y a des enjeux de mémoire importants dans les différentes catégories d'acteurs, qu'ils soient pieds-noirs, harkis, combattants du FLN, appelés français, ou encore chez les descendants d'immigrés.
Stora parle d'« arrachement », terme qui résumerait bien selon lui ce qui s'est produit, les Algériens arrachant leur indépendance tandis que de nombreux pied-noir et harkis étaient arrachés à cette terre qui était aussi la leur. Il ne développe toutefois pas ici ce concept.
Stora raconte la guerre de façon assez claire, il explique certains termes, comme par exemple les origines de l'expression pieds noir.
Il évoque tout un tas de choses, les origines du nationalisme algérien, l'Algérie avant 1954, la profonde inégalité du système colonial, les différentes phases du conflit, l'impossibilité pour beaucoup de Français de considérer que l'Algérie ne faisait pas partie de la France (avec une plus grande ancienneté que la Savoie, par exemple), le déni de la guerre côté français (on parle d'événements, parler de guerre serait reconnaître que l'Algérie est un pays étranger), la peur du guet-apens chez les Français, la guerre de guérilla, l'utilisation de la torture, les bombes au napalm, le sort des Harkis, les divisions au sein des nationalistes algériens, la création de la Vème République par De Gaulle, les porteurs de valise mais aussi l'OAS, le 17 octobre 1961, Charonne.
Le propos de Stora n'est pas complètement linéaire ou chronologique mais se veut un état des lieux, une présentation qui introduit de la complexité et apporte aussi des éléments moins connus, comme par exemple l'augmentation de l'immigration des Algériens durant le conflit du fait du chômage massif en Algérie. On trouvera peut-être qu'il manque quelques éléments, comme par exemple les corvées de bois, les développements sont parfois un peu frustrants par leur manque de détail, on voudrait parfois en savoir un peu plus, mais ce sont là les limites de ce genre d'exercice. Dans l'ensemble, Stora réussit la gageure d'aborder de façon assez complète les tenants et aboutissants de cette guerre. Il parvient même à introduire quelques touches de complexité, ne se contentant pas d'un discours simpliste ou simplifié à l'extrême.
Au final, cet ouvrage a le double mérite de dresser un panorama correct de ce qu'a été la guerre d'Algérie tout en pouvant se lire vite. Un ouvrage très bref, trop bref sans doute, mais riche, qui constitue ainsi une belle invitation à aller plus loin.