Cher Peter Jackson,
Quand vous aurez achevé votre trilogie The Hobbit et si vous ne parvenez pas à décrocher les droits du Silmarillion, vous pouvez sans risque vous attaquer à la Jérusalem Délivrée du Tasse. Ecrite en 1581 et pourtant nul besoin d'adaptation, bien au contraire vous y trouverez alternant avec une science du suspense et du rythme digne d'une journée de Jack Bauer : batailles rangées, assauts de murailles, duels de héros trop orgueilleux, amours impossibles, magiciennes et sorciers, armées démoniaques invoquées des profondeurs infernales, forêts bien trop anciennes pour ne pas être hantées et même un voyage aux confins du Monde. Clorinde n'a rien à envier à Eowyn, Renaud à Aragorn, la forêt de Saron au Mordor, l'attaque des créneaux de la ville trois fois sainte à la bataille des champs du Pelennor.
Le Tasse délivre une couronne baroque ornée des diverses gemmes de l'épopée telle qu'elle nous est connue depuis l'Iliade. Le poète n'hésite pas à "s'inspirer" - doux euphémisme - des modèles du genre, en tête l'Iliade, l'Enéide et le Roland Furieux. Il ne faut alors pas s'étonner de retrouver des épisodes, des personnages, des métaphores communs, parfois quelques citations de Virgile ou de Dante. Si ce récit, hautement épique et teinté de fantastique, de la première croisade menée par Godefroy de Bouillon demeure avant tout une propagande chrétienne dans la plus pure lignée de la Contre-Réforme et un chant à la gloire de la fameuse maison d'Este, le Tasse, ce grand fou, ne s'empêche pas pour autant maintes fulgurances érotiques et, sous le vernis des apparences, ne tarit jamais la noblesse du camp païen. Ce qui sera bien entendu loin de satisfaire l'Eglise.
Une langue lyrique à l'excès en octaves chatoyantes. Colorée et ondulée elle évoque avec des métaphores et hyperboles homériques des plus saisissantes la violence des combats, le choc des armes et des cuirasses, le sublime des paysages, les courbes d'Armide, les passions exaltées des chevaliers chrétiens ou bien encore le rassemblement des armées cosmopolites du roi d'Egypte.
En somme, de quoi bien remplir une ample trilogie cinématographique de jolis paysages tartinés de filtres, de ruines en CGI sur fonds verts, d'armures ciselées et de casques empanachés, d'acteurs hollywoodiens, de discours à cheval sur l'Honneur, de quelques créatures monstrueuses en latex et de grandes batailles en tout genre.