Je ne peux me garder d'une secrète inclination pour Toulet. Il est l'un de ces écrivains dont la voix singulière est immédiatement attachante, et laisse après elle un léger mais persistant sillon de mélancolie. La Jeune Fille verte s'apparente au genre un peu suranné du "roman de mœurs provincial". Toulet y fait le portrait d'une petite ville de son Béarn familial, de ses notabilités et de ses hypocrisies, avec cette grande tendresse, désenchantée mais sincèrement attendrie, d'une ironie parfaitement dénuée de causticité, qui est sa marque secrète. Et puis, je tiens Toulet pour un très grand styliste, un très grand coloriste de l'âme. La syntaxe subtilement désarticulée de ses phrases déroute parfois la compréhension immédiate (un peu à la manière d'une version latine) - mais ces distorsions ne sont pas douloureuses : plutôt qu'écartèlements, elles sont déhanchements de dandy, déformations excentriques à l'image de la silhouette du Chat blanc de Bonnard. Mais c'est un autre Nabi qu'on a envie de convoquer : Vallotton, pour l'exploration subtile, ironique et distanciée de l'intimité bourgeoise, pour la mélancolie sourde derrière le goût pour le motif.
Cette Jeune Fille verte pourtant date de 1920 : la Belle Époque est révolue et les remous de l'Histoire n'épargnent pas tout à fait le roman : une certaine ferveur révolutionnaire gagne même le décor d'opérette qu'est la bourgade béarnaise de Ribamourt (où semblent fusionner Salies-de-Béarn et Cambo-les-Bains). Mais aux mouvements de foule, le solitaire Toulet préfèrera toujours ceux du cœur. Non pas qu'il s'illusionne à leur sujet : c'est une bien prosaïque affaire d'héritage qui rendra possible l'idylle entre Vitalis et la jeune fille verte de l'intrigue, la farouche Sabine de Charite, dite Guiche. Toulet n'est jamais meilleur que dans ce registre fragile et ambivalent, mi-ombre mi-lumière : quand il fait éprouver la mélancolie d'après l'amour, l'irrémédiable solitude des êtres, et la non moins irrépressible tendresse que l'on peut éprouver pour ce théâtre un peu grotesque et attachant qu'est la société des hommes.