Ces mots en exergue de Julia Kristeva - «… de plus en plus sec, précis, fuyant la séduction pour la cruauté… » - accompagnent celui qui pénètre dans le monde implacable de «La langue d’Altmann».

Dans les vingt-six textes de ce premier livre de Brian Evenson (publié en 1994 et brillamment traduit par Claro en 2014), les personnages poussent la violence absurde, physique ou verbale, la perversion et la folie fanatique dans ses retranchements ultimes, agissant à contresens de tout code moral, et sans en général, ne susciter ni émotion forte ni révolte chez les protagonistes, à l’encontre de tous les attendus.

De «Elle : ses autres corps. Un récit de voyage», fuite hallucinée et sanglante d’un tueur psychopathe au volant de son camion, sur les routes des États de l’Ouest américain, à «La fenêtre de Munich. Une persécution» où un père, dans un registre qui rappelle Franz Kafka ou Thomas Bernhard, use envers sa fille du langage comme une arme d’une perversion et d’une précision sans faille, en passant par cette trilogie - «Le vide», «Une mort lente» et «Extermination» -, l’attente d’un groupe d’hommes retranchés dans un fort qui suivent les ordres absurdes d’un chef invisible, une histoire aux accents de Volodine qui allie l’horreur à l’humour, Brian Evenson explore jusqu'à l’extrême et dans des directions multiples, la violence nue, gratuite et sans échappatoire, avec des personnages souvent impassibles, sans remords et sans émotions, qui ne laissent au lecteur aucun autre choix que celui d’être puissamment ébranlé.

«Le suicide de la mère comme la tentative de suicide de la fille avaient été accomplis sans la moindre once de «désintéressement» – élément le plus indispensable à tout suicide esthétiquement réussi. Ma fille s’était jetée par la fenêtre (la première fois, pas la seconde) par pure méchanceté, pour me forcer à me soumettre à sa volonté, pour me forcer à venir la voir à Munich. Elle s’était dit qu’après cette démonstration excessive je n’aurais pas le choix. Bien sûr, entre nous, une simple tentative de suicide ne suffit pas à ébranler un homme de ma trempe. Une simple tentative de suicide est une occurrence quotidienne pour un homme de ma trempe, indigne du moindre intérêt que ce soit – en particulier quand ladite tentative poursuit le but unique de me manipuler, ce qui était certainement son cas. Je n’allais pas me laisser berner par de telles ruses de novice, lui écrivis-je. Je lui écrivis qu’elle déshonorait grandement sa mère en feignant de vouloir se suicider, au lieu de le faire pour de bon. Je l’encourageai à considérer l’acte de se suicider avec autant de sérieux que l’avait fait sa mère.» (La fenêtre de Munich – Une persécution)

«Utah.
Il passa la frontière, s’enfonça dans les étendues désertes du nord de l’Utah. Au bout de cinq kilomètres, il tua sa première, lui défonça les yeux avec son démonte-pneu. À l’arrière de sa camionnette, il lui grava trente-cinq étoiles dans le dos, par rangées de sept et de huit. Entamer la peau au canif n’était pas facile, trouva-t-il, ça posait des problèmes très différents du chêne et du pin. Il bâcla ses premières tentatives, recommença sur ses cuisses.» (Elle : ses autres corps. Un récit de voyage)

Une expérience vertigineuse, comme une plongée dans l’œil d’un cyclone de violence.
MarianneL
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le 1 juin 2014

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