Voilà, c’est fini.
Après des années de travail, plus de 1200 pages réparties sur trois tomes publiés en cinq ans (2020, 2021 et 2024), Timothée de Fombelle met un point final à sa trilogie Alma, qui reste à ce jour, sans doute, son projet le plus ambitieux : une vaste saga d’aventure comme il sait si bien les concocter, pour raconter l’histoire de l’esclavage. Une idée née dans son adolescence, quand il découvrit cette histoire alors qu’il vivait en Afrique avec ses parents, et qu’il a portée tout au long de ses années d’écriture, attendant d’être prêt, suffisamment aguerri, pour oser aborder et rendre justice à un sujet aussi difficile.
L’Histoire au cœur
Le résultat est là, impressionnant, imparable. Jamais Timothée de Fombelle n’a collé de si près à la réalité de l’Histoire, lui qui en a pourtant déjà beaucoup joué par le passé, notamment dans Vango et Le Livre de Perle. Dans ces romans, cependant, le merveilleux, la fantaisie, l’imaginaire prenaient le dessus sur un contexte qui n’était jamais le sujet de ces livres.
Si, dans Alma, il reprend ces ingrédients qu’il maîtrise comme peu d’auteurs aujourd’hui, s’il s’autorise l’aventure, le flamboiement de l’action et du suspense, l’humour et l’ironie parfois, la passion et le romanesque sans cesse, c’est toujours dans le souci de servir son propos historique.
Preuve en est le début de ce troisième tome, qui nous plonge dans le Paris de juillet 1789, en passant par ce morceau de bravoure qu’est la prise de la Bastille, puissamment spectaculaire et, en même temps, parfaitement intégré à son intrigue.
À aucun moment, le romancier ne cherche ni la démonstration, ni l’exhaustivité. Les événements qu’il choisit de relater servent tous son récit, ils ne sont pas là pour faire joli ou prouver qu’il a bien travaillé sa matière historique. La fuite de la famille royale arrêtée à Varennes, par exemple, est rehaussée d’un enjeu narratif inventé pour les besoins de la fiction, qui prendra un tour décisif à la toute fin du roman. L’événement historique devient vecteur de l’imaginaire de l’auteur, sans le paralyser.
Plus que jamais, Timothée de Fombelle déploie ici des moyens littéraires et narratifs colossaux.
Géographiques,
tout d’abord. Comme dans Vango, il nous entraîne de Paris à Saint-Domingue, de la Rochelle à La Nouvelle Orléans, de New York à Liverpool, dans une course haletante et permanente.
La grande absente, paradoxalement, c’est l’Afrique, dont les rivages abordés dans le tome 1 restent à distance dans celui-ci, alors qu’elle bat plus fort que jamais dans le cœur de ses déracinés réduits en esclavage, et dans l’espoir qu’ils formulent d’y retourner un jour. Son absence dans le roman raconte, en creux, son importance, et la violence dont ses terres et ses peuples garderont pour toujours les cicatrices.
Narratifs,
ensuite. Il y a la reconstitution de l’époque, bien sûr, la véracité des événements historiques, le grand tumulte du souffle romanesque, mais aussi plusieurs faisceaux de récits qui s’entrecroisent sans jamais égarer le lecteur, incarnés par une galerie de personnages si complète qu’Alexandre Dumas l’aurait sans doute trouvée admirable.
Convoquer un personnel romanesque aussi large, si vaste qu’on finit par se demander combien il y a de personnages principaux, est un authentique tour de force. Il pourrait y avoir un danger d’éparpillement, de perdre le lecteur, or le romancier fait de cette multitude de destins une tresse bien serrée, compacte, dont pas un cheveu ne dépasse. Comme un chant choral dont le battement poétique nous emporte, espérant voir enfin, après tant de luttes, tant d’années de souffrance, voir triompher les héros malgré eux de ce terrible conte.
Timothée de Fombelle tient par-dessus tout au contrat qu’il signe avec son lecteur dès les premières lignes de ses livres. Le troisième tome d’Alma, maîtrisé à la perfection, boucle toutes ses intrigues sans en oublier une seule, dans un souci constant de ses personnages et de leurs destinées, et consacre une fois de plus son auteur comme la plus belle plume du roman d’aventures en France aujourd’hui.
Pour tous, dès douze ans, et bien sûr sans aucune limite d’âge.