La lune assassinée par jerome60
L'histoire se passe dans un village,
« Le village, comme une teigne, avec ses maisons basses que mangent les vents, avec ses granges vides où l’on se pend, avec ses bêtes maigres, avec l’odeur du moisi qui rampe le long des ruelles, avec son auberge où l’on boit sa rage, sa haine, avec son clocher qui griffe la croûte grasse du ciel, et son cimetière, rectangle jaune et gris où reposent les os, avec ses chemins de poussière, ses sentiers de misère où poussent la ronce et l’ortie, et plus loin, l’usine, de briques, de fer, de sueur, avec la peur de l’autre, l’étranger à qui l’on entrouvre la porte, une lame cachée dans le dos, et le diable qui rôde, la nuit, sur les toits, et les chapelets qui s’égrènent, au coin des poêles, on prie la Sainte Vierge car dehors, les ombres guettent, avec ses gens, usés, râpés, cassés, la figure creuse, la douleur muette, traînant derrière eux un siècle d’âmes vaines, et encore plus loin, tout autour, la plaine, à l’infini, comme les restes d’une promesse. »
Le village et l'usine où
« les hommes, verseurs de sueur, de larmes, de sang, errent comme des fantômes dans des brouillards jaunes, baissant la tête, courbant l'échine, ils toussent, ils crachent, ils étouffent, et pour paye : leur lente agonie. Et quand vient le soir, il s'en retournent au village, marée de têtes blêmes, traînant leur carcasse, et seul l'alcool bu à l'auberge donne la force sur les lèvres de crier la rage et de maudire le sort. »
Dans ce village, on va à l'église,
« on s'agenouille. Les yeux bouffis de ferveur, on prie Dieu, comme on passe commande, chez le marchand, on se relève, les genoux craquent, on s'assoit, on écoute le curé qui dira de bien belles choses, et puis on se relève à nouveau, on s'avance à petits pas, l'un derrière l'autre, les vieilles, avec leurs jambes maigres, avec leurs figures de poussière, suintant le drame jusque dans leur canne, tirent des langues blanchâtres à celui qui, miracle ! déjà pardonne la grimace, alors on s'en retourne chez soi, gavé de génuflexions, ivres de signes de croix, l'âme lisse et légère, délestée de la petite cloque du péché. »
Et quand vient l'étranger,
« il voit les femmes qui braillent devant les maisons, qui comme des chattes furieuses rassemblent autour de leurs robes rêches des essaims d'enfants sales, traîne-misère, filles et fils de la brume, qui de la vie ne connaissent que l'odeur de la crasse qui colle aux os et le goût du sang dans la bouche quand les gifles ivrognes tombent lourdes et font se fendre les lèvres. »
Dans ce village vivent Pierre, l'ouvrier, sa femme Césarine et la vieille, la mère de Pierre. Depuis quelques temps Pierre rentre tard ou découche. La faute à la garce. Après six ans de mariage, Pierre est allé voir ailleurs. La garce et son ventre « lisse comme un galet que le soleil aurait sucé ». « Pierre la boit : son odeur, son souffle, et lorsque de plaisir elle se cambre, ses soupirs ». Césarine sait mais se tait. La vieille sait aussi, forcément, comme tout le village d'ailleurs. Autour d'eux quatre, le drame va se nouer, inéluctable...
J'ai adoré ce texte âpre, sensuel, tout en poésie et en lyrisme contenu. On est chez « Ces gens-là » chantés par Brel, des petites gens taciturnes et miséreux, abrutis d'alcool et de travaux de forçats, méchants comme des teignes. Aucune lumière, point de ravissement naturaliste, seule la tragédie peut nouer des destins comme ceux-là. Et malgré sa noirceur, j'ai trouvé ce très court roman d'une beauté crépusculaire sidérante...