C'est le premier, nom de Zeus ! Le premier récit qui fait intervenir un voyage dans le temps scientifique et donc « plausible ». Rien que pour ça, Wells mérite l'autel que je lui ai dressé dans ma chambre, en bon chronophile que je suis (ce terme est bidon, je sais) ! Effectivement, si vous me connaissez un peu, vous savez sans doute que je suis passionné par la notion du Temps et par tous les tripatouillages qu'il est possible de lui faire subir en imagination. Quelle place a donc ce précurseur littéraire dans ma passion ?
Et bien, en fait, je l'ai découvert assez tard. Disons à un âge de maturité où j'étais bien conscient que, vu sa relative antiquité (1895), il ne serait pas vraiment question des paradoxes auxquels nous a habitué la culture populaire des dernières décennies. Ici, le voyage dans le temps est plutôt le point de départ pour un voyage d'un exotisme total qui servira de cadre à une réflexion au sujet de la décadence de l'espèce humaine. Nous atterrissons donc avec le Voyageur du Temps (ainsi est-il nommé dans le livre) en l'an 802701. Epoque improbable mais pertinente lorsque le sujet est avant tout moral, voire philosophique. L'aventure est courte et tient davantage, hormis le premier chapitre, du récit de fantaisie comme on en faisait déjà dans les siècles passés ( telle l'histoire de l'homme qui dormit 100 ans, et de l'autre type qui rêvait du futur, lointains ancêtres de la science-fiction dont je ne me souviens même pas des titres) que de l'extrapolation sérieuse. Si le lecteur parvient à se faire à cette idée, il découvrira une aventure aux images très fortes (Wells a un pouvoir d'évocation stupéfiant lors de certaines scènes) et au vocabulaire à la fois simple et délicieusement ampoulé à la mode victorienne.
Wells est en tout cas très doué pour alterner entre de splendides descriptions et des scènes de tension digne d'un thriller: l'ennemi présenté ici, les Morlocks, ne pouvant vivre que dans l'obscurité, la gestion des allumettes est par exemple un élément d'effroi habilement manié par l'auteur. Celui-ci se fend même de quelques scènes de tendresse véritablement émouvante entre l'Explorateur du Temps et Weena, une petite Eloï (une humaine du futur) à laquelle je me suis rapidement attaché et qui permet de bien caractériser le héros au-delà de son rôle de scientifique et d'aventurier.
Le voyage dans le temps est cependant plus qu'un simple prétexte dans le roman, comme certains commentateurs aiment le prétendre. Déjà grâce à ce fameux premier chapitre, qui donne une description du Temps en tant que 4ème dimension. Rappelons que nous nous situons 10 ans avant l'élaboration de la relativité générale et il deviendra évident que ce roman se plaçait à l'avant-garde des théories scientifiques de son époque. Surtout que le petit cours que donne l'Explorateur du Temps est encore presque entièrement valable de nos jours bien que fortement incomplet, bien sûr. Ensuite, je me dois de signaler, sans la spoiler, la fin, où le héros s'en va visiter des époques encore plus lointaines. Ce passage est, à mes yeux, la grande réussite du roman. La terreur cosmique qui suinte de ces quelques pages est tout bonnement stupéfiante et mérite à elle seule la lecture de l'ouvrage.
Enfin, le mode de locomotion du chrononaute est une idée brillante qui permet des descriptions du temps accéléré à la fois originales (ça change du voyage instantané moderne) et édifiantes. Les adaptations cinématographiques ne se sont d'ailleurs pas privé d'en restituer tout l'attrait épique:
http://www.youtube.com/watch?v=W9SemYK9HEw
Si vous aussi voulez goûter par vous-même à la transition qui s'effectua à l'aube du siècle dernier entre le conte et l'anticipation scientifique, prenez quelques heures pour lire l'un des petits romans les plus stimulants de la fin du XIXè siècle.