Quel roman magistral !
Quelle belle littérature, dense, dramatique, exigeante et magnétique !
"La maison près du cimetière" est un roman qui fait peur mais, ne vous y trompez pas, il ne vous fera pas vous cacher sous votre lit, bien que certains passages soient assez impressionnants dans ce sens. Catégorisé parmi les classiques fantastiques dans l'acception littéraire de ce terme, les lecteurs qui viendraient y chercher vampires, loups-garous et shoots d'adrénaline en seront pour leurs frais. Car c'est par petites touches aussi isolées que brillantes que J. Sheridan Le Fanu distille dans son récit une atmosphère d'une telle intensité qu'il ne faut pas s'étonner qu'il ait inspiré son contemporain Bram Stoker, autre grand écrivain irlandais, pour créer "Dracula".
"La maison près du cimetière" fait également peur par sa longueur (plus de 600 pages, police réduite, les poignets souffrent) et par la multitude des protagonistes principaux, plus d'une quinzaine, rien que cela. Malgré des longueurs indéniables, le rythme est bon, et rendu possible par un découpage en 99 chapitres.
Livre de chevet de James Joyce, autre grand écrivain irlandais, "La maison près du cimetière" est d'abord un roman d'ambiance doublé d'un roman social d'une richesse et d'un foisonnement spectaculaires qui laisse le lecteur parfois assommé et/ou perdu, déboussolé, mais qui le retient toujours au bord de l'abîme de l'abandon, le captant par une sorte d'envoûtement magique dont j'ai réellement fait l'expérience.
Pendant le premier tiers du roman, j'ai en effet cru que je n'arriverais jamais au bout et pourtant, comme aimantée, j'étais parfaitement incapable de le lâcher et j'ai même passé deux nuits quasi blanches tant la fascination que le récit exerçait sur mon imagination était forte.
Quelles que soient les difficultés d'entrer dans une littérature classique aussi exigeante, les efforts du lecteur sont largement récompensés par la beauté du style et la structure impeccable du récit qui, tel un puzzle, s'imbrique lentement mais sûrement. Le génie du roman réside d'ailleurs dans cette construction de haute volée qui fait que vous terminez la dernière ligne à bout de souffle mais en ayant immédiatement envie de tout reprendre depuis le début, de manière à mieux comprendre les dialogues, leurs messages codés, et à mieux considérer les faits, même les plus anodins qui se révèlent, en réalité, autant de cailloux blancs semés par l'auteur pour guider son lecteur vers le dénouement. Et même si celui-ci se laisse deviner avant la véritable issue, l'attachement du lecteur aux personnages et son intérêt pour cette société de bourgade suburbaine de Dublin sont devenus au fil des pages si intenses qu'il est impossible d'en concevoir de la déception.
Enfin, il y a énormément d'esprit et d'humour dans le récit, certains dialogues et situations m'ont fait éclater de rire. Le narrateur se fait tour à tour sérieux et facétieux.
Bien que le roman ait été écrit au XIXème siècle, son action se déroule vers le milieu du XVIIIème siècle et revêt un esthétisme à la Barry Lyndon particulièrement séduisant.
Les admirateurs de Charles Dickens, William Makepeace Thackeray, William Wilkie Collins, Alexandre Dumas et George Eliot succomberont à coup sûr au charme puissant de ce très grand roman. Inoubliable !