Incontournable Août 2023


J'apprécie toujours autant les membres de la fratrie Deuzio, de la maison Alice, qui ont des thèmes aussi variés que leurs sujets.


Alors qu'une petite classe voit leur professeur/maîtresse partir en congé de maternité, une remplaçante fait son entré dans leur vie. Consuelo Florès a de belles robes colorées, des bracelets cliquetants et...a de la moustache. Si cela éberlue quelque peu les enfants, ils se prennent rapidement d'affection pour leur nouvelle professeur. C'est qu'elle connait la signification des mots, rend les choses si plaisantes et on rit beaucoup dans sa classe. Seulement, voilà, certains parents ont de bien vilains préjugés concernant Consuelo. Pour eux, elle "néglige sa féminité" et véhicule donc autant une image que des idées "subversives". Ce petit groupe complote pour faire virer la professeur, mais la petite classe, lasse de se faire infantiliser, prend des moyens pour se faire entendre.


Un peu dans la même veine que le petit roman "La Guerre des pupitres", "La Maîtresse de la moustache" aborde un conflit de classe lié à l'infantilisation. Dans un soucis protecteur, mais aussi condescendant, certains parents associent des traits peu flatteurs et complètement erronés à madame Cunsuelo, en raison de sa tendance moustachue. Plutôt que de comporter en adultes, ils œuvrent à faire salir la réputation de la professeur et même à la faire virer de l'école. Certains la taxe de "féministe" (où est le rapport?), de "dangereuse" ( c'est sérieux?!) et même qu'elle doit être "tenue de donner des repères à nos enfants": Autrement formulé: "Soit un beau modèle de femme tel que la société/industries/patriarcat le veulent pour que nos enfants y adhère aussi". Bien que j'ai été étonnée du degré élevé de méchanceté de ce petit groupe de parents, je me remet en perspective qu'ils existent bel et bien, malheureusement. C'est hélas un travers qu'on voit encore trop, celui de ce genre de parent qui, sous le couvert de bonnes intentions, sont en réalité de grandes gueules intolérantes qui imposent leur vision étroite aux autres. Et ce, même au détriment des jeunes. Il y a donc quelque chose de jouissif de voir cette classe primaire se battre pour leur professeur, qui est compétente, respectueuse et authentique contre ces hurluberlus prétentieux de parents bienpensants.


J'observe dans ce roman une jolie palette de personnages enfants, de la très atypique et oh combien meneuse Hydromelle, au très sensible Louis, en passant par le zozotant Charles-Auguste. À travers leur loyauté et leur solidarité, ce petit groupe montre qu'il est possible d’œuvrer en groupe pour une cause commune et que leur voix importe. Leur opinion devrait compter aussi, surtout quand il est évident qu'un lien de confiance et de respect a été établit entre le prof et les élève.


Au-delà du débat de "modèle féminin" se trouve évidemment la question du très restrictif et masculiniste modèle de la femme sans poils ( pour ne pas nommer les centaines d'autres critères tous aussi stupides). Madame Florès l'explique d'ailleurs de manière très douce: Elle s'aime ainsi et ne souhaite pas s’infliger la douleur de l'épilation, ajoutant même que "ce n'est pas vraiment rependu comme mode chez les femmes". Elle marque un point: La MODE. La pilosité est une pure construction sociale, une mode, qui ne relève ni de la science ni de la logique. Une petite incursion dans le monde de "À poil", de Sophie Adriansen, petit roman ado de la maison Magnard, vous instruira sur les cycles de la pilosité dans l'Histoire humaine, illustrant les raisons sociales, morales et culturelles autours du poil. Donc, présentement, la France contemporaine est assez rigide contre ses femmes concernant la pilosité, mais il n'en est pas de même partout et il n'en est pas de même pour tous les Français. Après tout, quand il s'agit du corps d'autrui et que cela ne porte aucunement atteinte à la sécurité ou la pudeur, en quoi cela-nous regarde-il? De plus, en quoi porter des poils est-il moins 'féminin"? Après tout, certaines femmes naissent avec des poils sous le nez et certains hommes n'ont carrément aucune barbe au visage. Il n'y a donc rien de genré dans le fait d'être poilu ou non. C'est purement construit.


Il y a aussi , à travers cette histoire, le traitement de l'action démocratique. Petit groupe d'âge primaire, s'il en est, il n'en demeure pas moins qu'ils peuvent apporter à leur environnement leur contribution. Les faire grandir et accroitre leur sens critique, c'est aussi leur donner la chance de poser un regard sur leur monde et au besoin, d'y prendre activement part. Nos enfants sont bien moins stupides et innocents qu'ont se plait parfois à le penser, dans notre ego d'adulte. J'aime toujours voir des personnages, même fictifs, se prendre en mains, à la hauteur de leurs aptitudes et de leur âge, pour défendre ce à quoi ils tiennent. N'est-ce pas aussi comme ça qu'on se forge en tant qu'individu?


C'est d'ailleurs amusant de constater que les parents contestataires ne se sont même pas rendu compte des progrès réalisés par leurs enfants - notamment d'écrire des lettres - tout occupés à médire sur le compte de la professeur.


Attention, divulgâche à venir.


Quand la hargne contre madame Florès atteint un paroxysme ( peut-être un peu extrême, je réitère, il eut été peut-être plus crédible de ne pas tomber dans de tels dérives) pour une simple histoire de moustache, les enfants, ayant au préalable fait savoir par lettre qu'ils soutiennent leur prof, se présentent à la réunion entre la directrice et les parents contestataires. C'est la directrice qui va clore le dossier en affirmant que Consuelo restera la prof de cette classe, n'en déplaise aux parents. Il faut dire que si tous les parents agissaient aussi sottement, on aura plus de profs dans les écoles à ce rythme. Il faut aussi dire que de porter la moustache ne constitue aucunement une preuve de dévergondage, de sorcellerie, de manque d'hygiène ou de toute autre calomnies proférés par les parents méfiants, donc lui retirer son poste est tout aussi absurde. La directrice est heureusement un personnage droit et pragmatique, loin de se laisser impressionner par le bougonnage immature de quelque parents immatures.


Il y aura toujours des petits groupes de gens intolérants et psychorigides pour placer les gens différents ou originaux dans de vilains préjugés, le tout est d'apprendre que la majorité silencieuse peut devenir bruyante quand elle se sent injustement à la botte de cette minorité éternellement insatisfaite. Il y aura toujours des parents qui se croient habiletés à juger ce qui est bon d'enseigner aux enfants ou non, en vrais policiers d'un morale qui leur est propre, sans tenir compte du fait que dans une école, c'est à travers la diversité et la différence qu'on apprend à évoluer dans notre monde. La différence fait peur, c'est bien connu. Heureusement qu'il y a des jeunes que ça intrigue et des parents pour qui ce n'est pas un problème, parce que la nouveauté et la différence rendent curieux.


Bien sur, relativisions: Dans la vraie vie, certains cas de profs sont problématiques pour de vrai, mais on arrive alors au point qui fait défaut ici dans le livre: La communication. Plutôt que de valider ou de s'intéresser à la source de leur inquiétude, de rencontrer la prof et de se mettre en mode 'investigation" les parents ont nourri de préjugés et de fausses croyances leur idée que cette prof est "néfaste" pour leurs enfants, sans preuves, sans fondement. Là est l'injustice. La directrice a d'ailleurs été numéro 1 sur cet aspect là en donnant un terrain neutre entre les deux partis pour discuter - même si au final, ce fut un dialogue de sourds, car nulle explication ou opinion de cette professeur ne semblait faire l'affaire des parents.


Pleins de belles qualités, donc, pour cette joyeuse bande d'enfants, qui ont apprit à se regrouper, à questionner et à agir. Je remarque aussi pour une rare fois une très belle relation entre une prof et ses élèves, car j'ai surtout lu des histoires éditées en France qui offraient le contraire, des profs épouvantables dans des contextes scolaires diablement ennuyeux.


Enfin, j'ai trouvé les nombreuses racines de mots très intéressantes. Les illustrations sont colorées et soyons francs, Consuelo Florès est très jolie, moustache inclue.


Pour la petite histoire: "Consuelo" est un prénom espagnol signifiant 'Réconfort". Un prénom qui sied fort bien à cette prof souriante, pétillante et respectueuse, qui a su amener rapidement un équilibre dans une classe qui vivait dans l'anxiété d'un changement de prof.


Un autre bel ajout dans la collection Deuzio.


Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans.

Shaynning

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