Une des facettes (possible) du grand écrivain est de faire un (vrai) livre à partir du sujet le plus ténu.
C'est une des premières réflexions qu'inspire la lecture de "la malédiction Hilliker". Ellroy à travers ses femmes ? Pourquoi pas. Mais aussi et surtout pourquoi ? Satisfaire un égo (notoirement) surdimensionné ? Ressasser encore une fois la mort de cette mère déjà évoquée à travers "ma part d'ombre" et présente en filigrane tout au long de son oeuvre ?
Il y a un peu de ça (la malédiction, c'est bien celle qu'il s'inflige, pour avoir souhaité la mort de sa mère - qui est survenue- alors qu'il n'était encore qu'un gamin de 10 ou 11 ans) mais bien plus encore.
La quatrième de couverture évoque, en parlant de ce livre, "un indispensable mode d'emploi littéraire pour qui s'intéresse à l'oeuvre d'Ellroy". De ce point de vue, chaque amateur du grand James y trouvera une dose unique, une clef d'entrée encore plus directe que tout ce qu'il avait pu trouver jusque là. Car Ellroy dit tout, avec cette acuité et cette lucidité terrifiante sur ce qu'est sa vie, ses obsessions, ses folies.
A travers les femmes successives pour lesquelles il développe tour à tour une fixation totale et maladive, on comprend le choix de certains sujets pour ses livres, les motivations, la volonté absolue de plaire, séduire l'une ou l'autre de ces compagnes.
La façon dont Ellroy parvient à être à ce point lucide sur ses propres névroses est bien aussi une sorte d'énigme qui explique son style inimitable et ses romans si particulières.
Car le bougre ne s'arrête pas à ses dérèglements psychiques, il ne cesse d'insister sur son côté connard de droite croyant, puisqu'il est presque à chaque fois attiré par des femmes qui sont exactement l'inverse.
Et cela découle sur l'autre très grand intérêt de ce livre: les relations amoureuses d'un homme et d'une femme à travers le filtre Ellroyien. Même ce qui peut se révéler de l'ordre du banal atteint parfois des sommets de surréalisme ou au contraire peut être le résultat de la plus grande introspection. Et c'est le propre du grand écrivain (nous revenons en cela à notre postulat de départ) que de faire apparaître nos propres vicissitudes ou turpitudes sous un jour neuf, nos propres compromis quotidiens se trouvant alors rehaussés à la hauteur des fulgurantes du maître.
On peut donc y lire des choses comme "Nos frasques sexuelles antérieures étaient des auditions pour nous préparer à une monogamie incandescente" en début de relation pour, quelques pages plus loin, découvrir, à propos de la même relation "la claustration entraîne le refoulement. Le refoulement couve et finit par exploser. Helen m'avait procuré du temps. Ce temps me permit de devenir fou à une allure modérée et hautement productive".
Et, en guise d'épitaphe artistique (mais ce n'est pas la fin pour autant de son oeuvre, comme nous allons le voir juste après): "Communiquer avec elles dans une chambre obscure m'a donné un univers à recréer par l'écriture. Désirer ce que je ne peux pas avoir me somme de créer des oeuvres d'art ambitieuses à titre de compensation".
Tout l'univers d'Ellroy, son moteur propre, est là.
Rassurons-nous: le connard croyant de droite, en fin de récit, confesse qu'il vient, toujours pour les mêmes raisons, de mettre en production intérieure une nouvelle tétralogie plus ample et dense que ce qu'il a jamais produit.
Rassurons-nous et salivons.