Sigismond Pons, une homme d'une quarantaine d'années est sollicité par son cousin nîmois Antonin pour le remplacer dans sa tournée de vendeur de liqueurs dans le sud. L'homme y voit là une occasion de s'échapper un peu de son quotidien, bien que profondément amoureux de sa femme Sergine, de dix ans sa cadette, avec qui il est marié depuis cinq ans, et dont il a un fils, Elie, il a besoin d'oublier un peu les constantes taquineries de son épouse. Bien qu'il lui ait toujours été fidèle, son imagination est titillée par les charmes des travailleuses barcelonnaises tant vantés par son cousin. Il trouve la ville très belle mais son charme est affadi par les marques omniprésentes de la présence de celui qu'il appelle l'enflé ou le "furhoncle" : le généralissime Franco. Il a demandé à sa femme de lui écrire en poste restante, voulant préserver le mystère de son adresse. Dès son premier jour, il ne résiste pas et décide de se rendre au bureau de poste, curieux de recevoir des nouvelles de Sergine, certain qu'elle lui a déjà écrit. Quand il se présente au guichet il y a effectivement une lettre pour lui, mais ce n'est pas l'écriture de sa femme, il est étonné en reconnaissant la graphie de sa vieille nourrice Féline (Félicie-Aline) qui garde maintenant son fils), celle-ci n'étant pas une grande adepte de la correspondance. Intrigué par l'absence de lettre de Sergine et le sujet de celle qu'il a reçue il l'ouvre très vite, sans la déchirer, Féline n'a pas pris le soin de bien la fermer. Il prend la feuille à l'envers et tombe par hasard sur ces lignes : " Elle a couru à la tour des vents Elle a monté la spirale. Elle s'est jetée du haut. Elle a expiré tout de suite." Comme pour oublier cette terrible nouvelle, Sigismond referme la lettre, et déambule dans la ville catalane comme si de rien n'était. Il se fabrique une bulle où le réel ne peut pas l'atteindre, mais pour combien de temps?
C'est en lisant l'ouvrage de l'ancienne maîtresse de l'auteur, Jacqueline Demornex, sur leurs amours, que j'ai eu envie de le connaitre. J'avais un peu peur de l'étiquette de surréaliste qu'elle lui avait collé, ceux-ci travaillant parfois trop la forme au détriment du fond. Mais dans ce livre peu de références à ce courant si ce n'est quelques jeux de mots qui hantent l'esprit du narrateur, et une vision de l'art toujours associée aux saveurs (que l'on doit cette fois à Sergine) assez intéressante, dont il préfère presque l'omophone "Lard" . Bien sûr Mandiargues ne se privera pas de critiquer le régime franquiste notamment dans un discours à la fin du livre, ce qui encombre plus qu'autre chose la fort belle histoire qu'il nous raconte. Beaucoup ne comprendront pas la réaction de Sigismond, ou iront chercher des termes psychiatriques, comme "choc traumatique", cependant son état est voulu, il se laisse lui-même quelques jours de répit avant de sombrer dans le chagrin, et il compte bien en profiter, il vit ces journées à fleur de peau, et goûte à tout les plaisirs, embellis à travers la paroi de sa bulle. Sergine l'accompagne finalement à Barcelone en véritable arlésienne, plus présente que son époux, il décrit les mimiques qu'elle aurait eu, ses réactions, ses habitudes. On ressent la vie qui animait cette femme et on ne cesse de se poser la question que Sigismond élude : "Pourquoi?". Déjà hanté par un père dont les frasques ont déteint sur lui, Sigismond erre, se bat contre lui même. Avec des personnages secondaires très effacés, et où les morts sont plus vivants que ceux qui leur ont survécu, ce roman m'a un peu rappelé le magistral "Sel" de Del Amo.C'est étrange après avoir lu Le pire c'est la neige et découvert le caractère de l'auteur via son amante, je m'attendais à un livre beaucoup plus excentrique et finalement, c'est dans un style sobre que le sujet, terrible lui, se pare parfaitement. Ce roman pourra paraître ennuyeux à beaucoup, j'en conviens, mais j'ai adoré me balader avec Sigismond dans une Barcelone plus vraie que nature, et chercher des cartes postales de lapin aux escargots.