Lu en Septembre 2021. Éditions GF. 8/10
Troisième livre de mon S1. Dans la littérature du XVIIème siècle. « La tragédie : succès, normes, spécificités ».
Je ne savais pas à quoi m’attendre quand j’ai dû acheter un livre de « Tristan l’Hermite ». Je m’attendais à un truc moyenâgeux, poussiéreux, un peu chiant quoi. Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert que ce n’était pas un fossile mais un auteur pré-classique possédant de très nombreuses similarités avec Racine.
En effet, le sujet est inspiré par l’histoire antique et au centre de la pièce Hérode Le Grand et sa femme Mariane vers 30av J-C. Hérode le grand est connu pour avoir été extrêmement meurtrier, assassinant le moindre ennemi qui pourrait s’opposer à lui. Mais il est roi de Judée quelques années, donc il se permet…
Ainsi, dans la pièce, Hérode est poussé dans ses retranchements par Mariane, sa femme, personnage plein d’honneur et de vertu qui refuse les avances d’un homme qui a proprement assassiné toute sa famille. Cette Mariane est tout à fait charismatique et semble surtout être le seul personnage principal qui ne soit ni manipulateur (Salomé et Phérore, fratrie d’Hérode), ni fou (Hérode). Mariane est fidèle à elle même, fait preuve d’orgueil en s’opposant au Roi, et préfère la mort à tout autre destin. Elle est en quelque sorte l’opposée de Salomé, sournoise et manipulatrice (d’inspiration machiavélienne), et leur opposition est mise en exergue dans la scène 2 de l’acte 2 où chaque réplique qu’elles échangent est un trait d’esprit plein d’animosité. Si dans d’autres situations, Mariane apparaîtrait comme une idéologue de la chasteté, très hautaine et pleine d'orgueil ; dans un tel environnement on ne peut que la respecter pour son courage et sa capacité à faire front dans ce monde impie alors qu’elle est extrêmement seule, trahie même par ses plus proches conseillers. Je pense qu’on pourrait assez aisément en faire une icône féministe.
Les vers de Tristan l’Hermite sont extrêmement beaux et élégants, il a un véritable sens de la poésie, d’ailleurs jusqu’à ce qu’il écrive cette pièce, il n’avait publié que des recueils poétiques. C’est cette précision dans le vers ainsi que dans le destin des personnages que cette œuvre me fait penser à celles de Racine, précisément un trait d’union entre Bérénice et Andromaque.
Peut-être ne met il pas autant en avant les passions dans un déchaînement lyrique à nous en faire pleurer, mais à la place, il a la spécificité d’inclure dans sa pièce des éléments de réflexions sur la valeur des songes et leur interprétation ; avec 250ans d’avance sur la psychanalyse.
Globalement, j'ai beaucoup aimé cette œuvre qui m’apparaît comme étant du pré- Racine. Les nuances dans les personnages n’y sont peut-être pas aussi fines mais c’est aussi bien écrit. La narration générale, l’histoire, est classique mais intéressante et la pièce repose surtout sur ce personnage formidable qu’est celui de Mariane.
RÉSUMÉ
Acte 1 : Hérode est dans une passion folle pour Mariane, la fille d'un roi voisin qu’il a assassiné. Salomé et Pherore, sa soeur et son frère, tentent de le raisonner mais lui ne s'en préoccupe pas. Il est perturbé par la vision du frère de Mariane qu’il a assassiné et y voit un mauvais présage.
Acte 2 : Mariane abhorre tout de Hérode, tandis que Salomé veut sa mort (à Mariane) comme par "précaution". Les péripéties se mettent en place, Hérode craint pour sa vie et son empire, il est d'accord pour se "débarrasser du danger". La scène 2, dispute entre Mariane et Salomé, est très expressive et intemporelle. Leur échange est quasiment sous forme de stichomythie.
Acte 3 : Hérode est tout simplement fou. Mariane est une grande femme qui domine, une lionne qui est entourée de hyènes et d'un lion impotent. Elle est épargnée et regarde avec dédain la passion folle et meurtrière d'Hérode. Ce dernier n'entend rien, il est emporté par son excès de pouvoir. L'absolutisme est mauvais conseiller. La scène de jugement est très classique, rien ne sort de l'ordinaire. C'est l'appel à l'orphelinat des enfants qui sauve Mariane, la valeur de la famille pour Hérode et l’époque, est essentielle.
Acte 4 : Salomé et Phérore usent de manipulation flagrante pour persuader Hérode de ne pas épargner Mariane. Il est trop crédule, impotent et accepte. Mariane va à la mort sans regret tandis que sa mère, pour se protéger elle, l’assassine une dernière fois en l'accusant de tous les mots au sujet du prétendu empoissonnement qu'elle sait faux. J'ai beaucoup d'empathie et de respect pour Mariane, c'est un beau personnage, une héroïne qui mérite d’être éponyme. Je comprends qu'elle soit contente de quitter ce monde de fou.
Acte 5 : Mariane a été exécutée. Hérode est dans le déni complet. Il devient fou et voudrait la rejoindre, son personnage ne prévoyait pas une autre fin. Ses soliloques scène 2 sont très beaux.
« SALOMÉ :
Vous allez voir le roi.
MARIANE.
Oui j'y vais de ce pas
Lui tenir un discours qui ne lui plaira pas.
SALOMÉ.
Vous ne lui direz rien qui lui puisse déplaire,
Il aime tout de vous jusqu'à votre colère.
MARIANE.
Et moi qu'il a rendue un objet de pitié,
J'abhorre tout de lui, jusqu'à son amitié. » (II-2, v.519-524)
« HÉRODE.
Ô noire perfidie ! Ô trahison damnable !
Ô femme dangereuse ! Ô peste abominable ! » (II-6, v718-719)
« MARIANE
Tu peux m’ôter la vie, et non pas l’innocence. » (III-2, v985)
« ALEXANDRA.
Femme sans pitié, nouvelle Danaïde,
Inhumaine, traîtresse, assassine perfide,
Qui voulût lâchement attenter sur ton roi,
Je ne te connais point, tu ne viens pas de moi,
Car de ces trahisons je ne suis pas capable.
MARIANE.
Vous vivrez innocente, et je mourrai coupable. » (IV-6, v1389-1394)
« HERODE
Quoi ? Son corps sans chaleur est donc enseveli,
Et l'univers n'est point encore démoli ?
Vous avez donc rompu l'agréable harmonie
Que vous aviez commise à son divin génie » (V-3, v1687-1690)