La Mer
7.4
La Mer

livre de Yōko Ogawa (2006)

Une centaine de pages, sept nouvelles, des rencontres inter-générationnelles ; La Mer se présente comme un bouquet de moments fugaces du quotidien, d’incongruité ponctuelle et de bienveillance partagée. Sorti au Japon en 2006, puis traduit chez nous en 2009 – directement de sa langue d'origine – par Rose-Marie Makino-Fayolle, ce recueil peut être lu sans pré-requis sur l'univers ou le style de son écrivaine, Yokô Ogawa. Il n'est même pas nécessaire d'être familier avec la littérature ou la culture japonaise pour comprendre les histoires ; les références étant peu appuyées et la traduction des kanjis (les caractères chinois) explicite.


La Mer n'est pas juste une somme d'histoires écrites par la même auteure. Il semble répondre à l'intention de produire une œuvre : un tout où les différentes parties seraient liées par un lien thématique subtile et, conscient de cela, une recherche de différentiation et de complémentarité entre ces mêmes parties par le style et la longueur. Les histoires – comme l'ont soulignées les critiques – sont le récit de rencontre entre des individus qui n'appartiennent pas à la même génération. Deux beaux-frères avec une dizaine d'année d'écart, une répétitrice de vingt-ans et une femme de soixante ans, un portier trop âgé et une petite fille, etc. Toutes ces rencontres sont teintées de bienveillance, la confrontation n'existe pas. Les personnages s'aident, s'écoutent, cherchent à se comprendre dans des instants d'une brièveté charmante et s'enrichissent humainement. Il est question de d'échange et de communication plus que d'héritage à sens unique, car l'apport matériel ou spirituel – même minime – peut se faire dans les deux sens comme le montre la dernière histoire.


Les techniques narratives sont relativement simples et discrètes. L'auteure fait en sorte que les protagonistes soient coupés de leur univers d'origine et de rendre la communication entre les personnages de la même catégorie défaillante. Les femmes dactylographes ne communiquent jamais entre elles, la fillette de six ans est mutique, le jeune homme du premier récit qui se retrouve contraint de dormir dans une autre chambre que celle de sa petite-amie qui parlait déjà peu ; tous ces personnages ont quelque chose en commun : leur monde et les personnes qui sont théoriquement proches d'eux n'échangent plus avec eux. Voire ils sont tout simplement absents. Ils sont isolés de leur zone de confort et le langage même semble perdre de son intérêt et de son utilité. L'arrivée du second personnage principal leur permet de se libérer de leur solitude et d'expérimenter une nouvelle forme d'échange, de par sa nature inhabituelle et du fait que leur interlocuteur ne soit pas de la même catégorie que la leur. Ce point est crucial dans l'histoire de la dactylographe et l'histoire du portier avec la jeune fille. Les personnes communiquent par des échanges d'objets (des caractères de machine, des peaux mortes d'animaux) qui acquièrent une nouvelle valeur en tant que support d'un nouveau langage de circonstance. La dernière nouvelle conclut cette thématique de l'échange admirablement en jouant sur plusieurs niveaux, mais l'expliquer serait la gâcher.


Cependant, le recueil de nouvelles ne s’embourre jamais dans une répétitivité mal-venue. Les histoires ne sont pas de simples supports à ce thème, sinon l'adjectif « subtile » ne lui conviendrait pas. Certaines nouvelles font moins de cinq pages quand d'autres font plus d'une vingtaine. On ne lit jamais systématiquement le point de vue d'un seul type de personnage, on se plonge autant les pensées d'une personne âgé que d'un enfant, d'une femme que d'un homme, à la première ou la troisième personne. Cette recherche de diversité dans le choix des personnages et surtout du point de vue rappelle à un conseil d'artiste simple : la cohérence thématique n'est pas la redondance stylistique. D'un ensemble hétéroclite on peut dégager après coup un lien plus abstrait qui donne une signification plus forte au « Tout ».


À titre personnel, je veux bien parier sur le fait que ces nouvelles furent écrites avec une idée directrice en tête avant leur rassemblement final, mais il se peut que je me fourvoie complètement.


Le livre m'a néanmoins laissé relativement indifférent. L'agencement des phrases, la psychologie des personnages, les figures de style, les images, rien n'a vraiment fait d'effet sur ma modeste personne. Tout ce qui tient de la micro-structure prendrait bien trop de temps à être critiqué. Je ne ferai pas d'analyse d'extraits. Je vous épargne les qualificatifs sans intérêt car non-argumentés pour décrire la prose de Yôko Owaga.


Oui, je sais, il y a de quoi se sentir floué par cette lecture. Les petites déceptions rendent la vie attrayante paraît-il.

H_Zinzolin
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le 17 août 2018

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H_Zinzolin

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