"On appelle cela une vie !"
Sous certains aspects, on pourrait dire que La Métamorphose de Kafka constitue l'entrée dans le XXème siècle. Non que le sujet du livre soit, a priori, très innovant. Le thème de la...
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le 17 déc. 2017
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Pendant ma licence de lettres modernes, je me souviens très clairement avoir eu ce bouquin au programme en L1 : on bossait sur le thème de la métamorphose en littérature, et l'autre livre proposé pour ce thème n'était autre que Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Tu parles d'un grand écart ! Je n'étais pas franchement un bon étudiant ni un littéraire passionné, mais j'avais adoré bosser sur Alice : les scènes et la manière dont elles se succèdent semblent totalement farfelues et aléatoires, les personnages paraissent complètement fou, mais cet univers fonctionne en fait selon sa propre logique, ses propres règles, et avec du recul on se rend compte que le tout tient debout et que les thèmes abordés sont multiples : passage de l'enfance à l'adolescence puis à l'âge "de raison", règles affreusement strictes de la société Victorienne anglaise, sexisme... Et c'est même pas chiant ! On navigue de scène en scène, de chapitre en chapitre et de personnage en personnage comme on passe de niveau en niveau dans un bon vieux jeu vidéo. En fait, il était sacrément en avance sur son temps, le père Carroll ! On voyage ainsi initiatiquement aux côtés d'Alice, découvrant le pays des merveilles avec légèreté, mais ce n'est là qu'une apparence, puisque cet univers lui-même, à l'instar de ses propres personnages, semble opérer une métamorphose à mesure qu'on le lit (puisque je vous dis que ça m'a plu !) ...
De ce fait, sur le thème de la métamorphose, le bouquin de Kafka constitue une alternative radicalement différente, une expérience qui s'est franchement révélée désagréable en ce qui me concerne, une fois le livre refermé. Et je ne vois vraiment pas comment il pourrait en être autrement pour les autres lecteurs ... Cela semble en effet être le but recherché !
Gregor Samsa habite avec ses parents et sa sœur, pour lesquels il travaille sans relâche dans un boulot difficile et terne (démarcheur commercial, si je me souviens bien), faisant fi de ses propres envies, vouant finalement son existence à cette tâche louable mais peu envieuse. Mais sa routine va être bouleversée lorsqu'un matin, il se réveille métamorphosé ... en cafard géant. Si sa famille, d'abord effrayée par cette horrible transformation, va tenter par la suite de vivre tant bien que mal avec, ils finiront finalement par rejeter le pauvre Gregor.
Après avoir lu La Métamorphose, j'ai ressenti une hostilité rarement éprouvée à l'égard d'un livre. J'aime lire pour découvrir, m'attacher, me faire peur, être surpris, pris au dépourvu, mais vraisemblablement pas pour déprimer ou être un peu plus dégouté du genre humain au sortir d'une lecture. Il ne faut peut-être pas lire Kafka lorsqu'on est un jeune homme encore très candide comme moi ... Ou alors c'est justement l'effet escompté, j'ai donc été eu, et ne peut que saluer bien bas la prouesse ainsi opérée par Kafka, celle de parvenir à transmettre son amertume et son mal-être à travers sa nouvelle.
Parce que le destin tragique de Gregor est tout à fait malaisant, voir révoltant : il n'a pas mérité son sort, essaye de faire avec tant bien que mal, il semble même s'en accommoder finalement, sa seule préoccupation étant de ne pas être un trop gros fardeau pour sa famille. Si les parents et la soeur font quelques menus efforts au début, ils vont bien vite revenir à de plus basses considérations, motivées notamment par l'argent et le fait que Gregor ne rapporte plus rien et ne fait qu'accroître les dépenses (oui oui, alors même qu'il a trimé comme pas possible pour eux jusqu'à présent, youpi !). Chaque page tournée révèle un peu plus de cette descente aux enfers pour Gregor dont il ne peut être que spectateur, à l'instar du lecteur.
Et le du pire, le climax de l'horrible, c'est qu'à la fin, lorsque la famille se débarrasse allègrement de la dépouille de Gregor qui a lentement agonisé des suites d'une blessure infligée par son propre père, tous semblent revivre ! La sœur est devenue une jeune et belle adulte, les parents reprennent leur vie et leur foyer en main, et ils s'en vont en train vers un avenir radieux, maintenant que le parasite est crevé. Abominable je vous dis !
Kafka use ainsi avec brio du thème de la métamorphose : on est habitué à sa dimension initiatique, à ce qu'elle soit la métaphore d'une évolution humaine somme toute commune, convenue même. Tandis que Carroll les multiplie, les complexifie et les dissimule avec amusement, Kafka en livre froidement une seule, pas dissimulée du tout et désespérément crue : un cafard, c'est un parasite, point barre, et c'est exactement comme ça que la famille de Gregor le perçoit. C'est injuste ? Ben oui, tant pis pour Gregor, tant pis pour toi.
Le plus déstabilisant étant que cette horrible famille, si elle semble monstrueuse, est tout ce qu'il y'a de plus humain. Voilà probablement pourquoi je n'ai pas pu digérer La Métamorphose de Kafka avant un bon bout de temps. Bien lâchement, je n'aurai pas voulu être dans sa tête, et lui a eu la force de nous le transmettre avec un génie indéniable, fort heureusement reconnu aujourd'hui. Chapeau ... !
Créée
le 29 juin 2017
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