En voyant devant un magasin une pancarte indiquant « Fermé pour cause de décès », et en s'interrogeant sur tout ce que cette poignée de mots renfermait, Dezső Kostolányi disait quelque chose comme : « Puisse-t-on tous écrire avec la même précision, avec la même économie de moyens et la même justesse chirurgicale ». Ce sont mes termes, les siens sont infiniment plus parfaits. Il poursuivait en expliquant que pour un jeune romancier, son meilleur conseil pour le premier exercice à faire, serait non pas de créer, mais de détruire. Prendre un livre, n'importe lequel, et jeter tout ce qui est inutile, chaque mot qui n'a pas exactement sa place. À certains, disait-il, ce sont 90% du texte que tu vas jeter. À d'autres, et même à de grands maîtres, tu n'en jetteras qu'une partie minime.
Et sur ces entrefaites, il expliquait : « Mais à Tolstoï, je te préviens déjà, tu ne pourras jamais rien enlever. Dans la mort d'Ivan Illitch, c'est la moindre lettre qui est à sa place. Et c'est la marque d'un grand chef d’œuvre. »

C'est en ayant ça en tête que j'ai lu ces quelques dizaines de pages. Il n'y a rien – rien, mais rien du tout – à enlever. Chaque phrase est chargée, dosée, de la mesure exacte de sens qu'elle doit peser. Chaque mot est parfaitement à sa place, touche exactement juste.
Alors c'est sûr, le génie est moins éclatant, brillant, que lorsque l'on lit une phrase de Proust, de Woolf, ou de qui sais-je. Mais il faut un sacré courage, une formidable capacité à l'abnégation pour pouvoir être aussi dense. Et ça, mes amis, ça vaut très cher.
Pour tout vous avouer, je n'ose plus écrire le moindre mot, tant ils me paraissent tous enflés et malades, pourris comme des noix, grandes coquilles creuses, à côté du même employé par Léon.

La structure narrative est irréprochable, à l'instar de la lente évolution, avec le rythme des chapitres qui va s'accélérant, parallèlement à la chute du héros.
Tolstoï jongle avec les tons, les registres, avec la douceur caressante et la fallacieuse facilité d'un acrobate du Cirque Plume : Entre deux effrois sincères, on se surprend à rire en grinçant des dents devant l'ironie noire dont il voile les relations des personnages, hypocrites inconscients.

Les enjeux sont terribles, la leçon est magistrale, c'est très profond qu'il touche, et on se surprend à se dire « Attention, attention : ne ratons pas notre vie, chaque minute y est précieuse comme un mot chez Tolstoï ». Et à faire le point.

D'ailleurs, c'est moi où Les Choses, de Perec a un sacré arrière-goût de celui-ci ?
Adobtard
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le 6 déc. 2013

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