Faire sienne la tyrannie d'autrui
Ce n'est pas une question de force intérieure qu'on aurait ou qu'on aurait pas, selon notre caractère. Cette force qui nous pousse à désobéir, les circonstances venues. C'est qu'il n'a jamais été question de la solliciter. Pas à un seul moment. Comme si elle n'existait pas, quelque part au fond de soi, bien cachée sous les traumatismes de son enfance, sous son éducation, sous les étapes de sa vie. Ce n'est pas une question de sadisme ou d'absence de conscience que de ne pas aller la solliciter. C'est que l'on ne s'appartient déjà plus. La Mort est mon métier, c'est la disparition d'un homme banal, c'est la dissolution d'un type dans l'entreprise collective où il s'active, entreprise dont toute la responsabilité est portée par celui au-dessus de lui. C'est la nécessité d'exécuter, d'exécuter bien et de disparaitre dans une vie tout ce qu'il a de plus ordinaire, pour se sentir bien avec soi-même. C'est bien ce qui est effrayant. De se dire que l'on porte potentiellement en soi la capacité d'aller aussi loin en s'en rendant compte mais en ne se posant pas d'avantage de questions, parce que c'est considéré comme normal. Parce qu'on ne peut pas lutter contre. Et que l'on a bien voulu (ou qu'on n'a pas pu ne pas) s'effacer devant les décisions d'autrui. Même quand elles confinent à ce degré d'absurdité, à ce degré d'atrocité.
Je ne sais pas dans quelle mesure le romanesque a appuyé la biographie, mais le texte, extrêmement simple à lire, apporte un éclairage sans fard sur la façon dont un génocide peut compter sur l'aide, précieuse et mathématique, d'individus lambda. Ça fait froid dans le dos. Et ça nous rappelle avec violence que nous ne serons jamais assez critiques ni vigilants. Et qu'il faut rester alerte, toujours, et toujours écouter d'autres voix que les siennes et croiser d'autres regards que ceux qui nous reflètent. Reste allumée, petite veilleuse. Reste allumée...