Cette petite tortue au début, c'est toi tout craché
Je reste là et je ne sais pas quoi dire.
J'ai fini le livre tout à l'heure et je reste là, je ne sais pas quoi dire.
Si j'aime autant Steinbeck c'est peut être parce que son écriture est très humble et très simple, elle arrive directement dans ton coeur et tu ne peux rien faire parce qu'il n'y a aucune barrière, ni historique, ni sociale, rien, il n'y a rien entre la famille Joad, entre Tom, Ma et toi. Et tu es chassé de tes terres, tu es chassé de ta vie, tu as faim et tu ne veux pas voler pour manger, tu veux travailler, il n'y a pas de travail, tu fais des kilomètres, les gamins se battent, l'oncle pleure, les grands-parents s'en vont, ton camion n'a plus d'essence, tu parles avec les gens autour de toi, tu écoutes le prêtre qui n'est plus prêtre, tu arrives en Californie, belle, magnifique, prometteuse Californie, chargée de fruits et de coton qui ne demandent qu'à être cueillis, chargée de couleurs, de levers, de couchers de soleil, tu vois le camp prendre feu sous la peur, tu vois les injustices contre lesquelles personne ne peut rien, tu entends le grondement qui enfle, la colère qui grogne, tu restes près de ta famille qui t'embête, que tu aimes, qui te pèse, à laquelle tu tiens et voilà et voilà ta vie tes combats quotidiens, incessants, tes combats pour survivre, pour vivre aussi, pour avoir le droit de t'amuser, de rire, de danser, tes combats pour être digne, parce qu'il te reste la certitude que tu n'es pas un animal, que tu es un homme et que tu le seras jusqu'au bout. Regarde, tu es cette toute petite tortue du début qui peine sur sa route mais qui s'obstine, qu'on ballote dans une couverture mais qui se bat pour aller au bout de sa petite route, pleine de cailloux gonflés d'aubes nouvelles.
Je suis là et je ne sais pas quoi dire, à chaque fois je ne sais pas quoi dire, il n'y a pas un mot de trop dans ce livre, il n'y a rien à ajouter, tout est dit, tout a été dit - il n'y a plus rien à lire.