La mort est mon métier: une écriture totalitaire du totalitarisme
Rudolf Lang est Rudolf Höss un des rouages de la machine hitlérienne de l'extermination des Juifs. C'est lui, entre autres, qui conçoit, en s'inspirant, en expérimentant, les techniques d'extermination humaine.
Le livre raconte deux choses: l'histoire de cet homme, comment en est-il arrivé là ? et montre, de manière très singulière, le fonctionnement du camp d'Auschwitz.
Il paraît que "La mort est mon métier" est plus "complet", plus "abouti", qu'"Eichmann à Jérusalem" d'Hannah Arendt, en cela qu'il va plus loin que la simple démonstration de la "banalité du mal", concept clé de l'oeuvre d'Arendt. En effet, la vie d'Höss montre deux choses. Il est un homme "comme les autres", issu d'un milieu modeste, un militaire parmi les militaires, un fonctionnaire parmi les fonctionnaires, un Allemand de sa patrie, qui ne fait qu'obéir au Reich. Un type banal qui bascule dans le crime par "devoir d'obéissance". C'est là la "banalité du mal" d'Arendt. Mais, "La mort est mon métier" dit autre chose : le comportement adulte est soumis au déterminisme de l'éducation parentale. Höss enfant était psychologiquement et physiquement martyrisé par son père, auquel il devait scrupuleusement obéir. La figure du père revient sans cesse dans le livre, comme le fantôme d'une éducation parentale menée à terme. Alors, tout le monde peut devenir le diable...tout le monde ou presque: la maltraitance infantile semble prédisposer aux comportements totalitaires. "La mort est mon métier" prolonge la réflexion sociologique d'Arendt en lui conférant une dimension psychiatrique.
Autre chose: pour un travail scolaire, j'ai du relire deux fois la 2e partie du livre, celle où Höss, commandant d'Auschwitz, bâtit cet empire de la Shoah. Cet extrait est insupportable à la lecture, pour qui a un peu d'empathie. Ce n'est même pas glauque, même pas laid, même pas trash, parce qu'on sait tous comment les détenus sont amenés aux "douches", comment les corps sont brûlés, par qui, etc. Non, dans l'évocation de tout cela, de l'odeur des corps en consomption, des mouvements des corps embrasés, des yeux ouverts des cadavres, etc, il n'y a rien d'informatif, mais, selon moi, du voyeurisme, de l'exhibition, qui confinent parfois le sensationnel. A-t-on besoin de cette lecture "supplicielle", pour comprendre l'atrocité des camps ? Et puis, imposer cela au lecteur, n'est-ce pas engager sa duplicité ? Il y a dans cette partie du texte comme un vent de totalitarisme: le lecteur est prisonnier du livre, ne peut pas s'en dérober sous peine de culpabilité. Alors, patiemment, il faut les parcourir en hurlant intérieurement. A quoi bon...
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