La Mort heureuse est une juvenilia de Camus. Récit-matrice de L’Étranger, le roman relate l’histoire de Mersault, un employé de bureau à l’existence banale, jusqu’à sa prise de conscience lors d’une discussion avec Zagreus, un infirme ancien amant de sa maîtresse, que l’argent est la source du bonheur, à la faveur d’une équation simpliste selon laquelle le bonheur dépend de la liberté, elle-même fonction du temps à disposition, lequel est offert par l’argent possédé. Cette révélation l’amène à fomenter l’assassinat de cet homme, devenu riche par le biais d’escroqueries. L’argent volé lui permet de s’affranchir de toute contrainte, et de partir pleinement à la poursuite du bonheur. Il voyage, d’abord à Prague où il ne rencontre que l’angoisse ; puis en Italie, où il fait pour la première fois l’expérience fugace de cet état par la consécration réitérée de noces avec le monde. Se rendant compte qu’il ne pourrait être heureux seul, il revient en Algérie, où il s’installe avec trois de ses amies dans « La Maison devant le Monde », microcosme dans lequel ils vivent sensuellement au rythme du Soleil. Cependant, l’amour lui semble constituer un frein à sa quête. Il décide alors de partir seul, et d’acheter une maison à Chenoua. Il réitère sa conviction que le bonheur tient à l’accord de l’homme avec le monde. Il semble toutefois que ce secret le mine intérieurement. Faute de ne pouvoir se confier, son corps se dérègle entièrement. L’on comprend qu’il assiste au dernier matin du monde avant de faire l’expérience de sa propre mort.
La première lecture de La Mort heureuse il y a quelques années m'avait laissé un si beau souvenir que je sors déçue de l'avoir entaché. J'y retenais la puissance des répliques qui confinaient à la philosophie, et une certaine idée du Soleil avec La Maison devant le Monde qui n'était pas sans rappeler la scénographie cinématographique de La Piscine. Cette relecture a rendu ces impressions évanescentes : j'y ai surtout constaté la lourdeur du style, ainsi qu'une construction diégétique parfois boiteuse. Si l'essentiel de la philosophie camusienne est présente, elle manque cependant d'une certaine maturité. Par ailleurs, la reprise de certaines trames narratives présentes dans L'Été ou L'Envers et l'endroit rendent le récit moins singulier, moins original. Il est de beaux passages, mais peut-être faut-il lire les oeuvres de jeunesse des auteurs à l'âge auquel ils les ont écrites, pour pouvoir les apprécier pleinement.