Avec Mémoires d'Hadrien, Yourcenar entreprend de composer ce qui pourrait s'apparenter à un roman historique si le personnage d'Hadrien n'était pas autant travaillé et n'avait pas une étoffe aussi épaisse. À travers un récit à la première personne, ce livre relate les mémoires qu'aurait pu écrire l'empereur sur son lit de mort, alors acculé par la maladie et en proie à la meditatio mortis.
Les Mémoires d'Hadrien ont tout d'un grand livre : ils sont de ceux qui parviennent à recréer un monde disparu par le seul médium des mots. L'on croirait lire une traduction d'ouvrage antique, tant par la précision et le foisonnement des hauts faits narrés que par le style remarquablement antique.
Avec cet ouvrage, Yourcenar a exprimé son intention de "refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors". C'est brillamment réussi. Elle pousse si loin la sortie de soi et le processus d'identification qu'elle parvient à renouveler le concept d'inspiration poétique par ce "portrait d'une voix". Ce n'est plus une divinité qui parle en Yourcenar, mais un personnage historique. Elle témoigne par ce biais de la faculté de la littérature à sortir de soi pour entrer dans un horizon d'existence qui est celui d'un autre que soi, et de parvenir à le saisir dans toute son intimité.
Pourtant, à l'exception de quelques passages d'une beauté manifeste et du fabuleux carnet de notes qui succède aux mémoires, je dois avouer m'être profondément ennuyée... "Plus j’essaie de faire un portrait ressemblant, plus je m’éloigne du livre et de l’homme qui pourraient plaire. Seuls, quelques amateurs de destinée humaine comprendront", constate Yourcenar. Alors peut-être dois-je me résoudre à imputer cet ennui à un manque de sensibilité pour la destinée humaine...