La mort volontaire au Japon est une lecture que j'avais longtemps négligée, égaré par la dédicace de l'auteur à un écrivain que j'apprécie assez peu, Roland Barthes. De tous les livres sur l'éthique japonaise que j'ai pu feuilleter et lire comme le Traité des Cinq roues (en soi peu utile puisque c'est juste un manuel de combat) ou le Hagakure (plus philosophique), je pense que c'est celui-ci qui m'a le plus marqué, notamment par son sujet, le suicide rituel avec témoin.
Il est vrai que le livre de Pinguet m'a fait un très grand effet, même si j'avais beaucoup lu sur le suicide auparavant mais plutôt en contexte romain. Le seppuku / hara-kiri, le suicide, est très intéressant à étudier, pour comprendre l'influence qu'il a sur tout un pan de la culture.
Je pense que la vraie originalité du Japon (c'est l'idée sous-jacente du livre) est que le suicide y a des significations extrêmement diverses selon les époques et les contextes mais qu'il constitue en quelque sorte un invariant de l'âme japonaise, non point quantitativement, (on se tue au Japon moins que chez nous, contrairement à ce que croient les journalistes) ; mais qualitativement : épargné, ou presque, par la "chienlit" chrétienne, l'archipel n'a jamais porté de regard globalement dépréciatif sur cet acte suprême, alors que l'Europe, même dans le meilleur des cas (Rome) n'y consent que pour l'homme libre. La condamnation du Christianisme ne fait d'ailleurs que reprendre celle de Rome contre le suicide servile : un esclave qui se tue, c'est comme pour nous un ustensile ménager qui tombe en panne : nous sommes volés, comme est volé Dieu de son pouvoir despotique de nous tuer à son heure et non pas à la nôtre, souverainement libres que nous demeurons, même dans l'adversité la pire. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le refus du Japon d'accueillir vraiment l'ignoble (au sens étymologique : vraiment pas noble) Christianisme, il n'a jamais dépassé 1% malgré François-Xavier, et encore, seulement dans l'île méridionale de Kyushu. Bien sûr, la répression impitoyable de la révolte de Shimabara y est aussi pour quelque chose, mais ne confond-on pas un peu effet et cause ?
Spontanément le Japon des débuts du Shogunat a compris que le Christianisme n'était "bon" que pour des paysans révoltés contre l'inégalité absolue de la naissance, donnant aux 9% de samouraïs droit de vie et de mort sur les 91% restant, quelles que soient les richesses respectives des uns ou des autres : un samouraï mourant presque de faim vaudra toujours davantage qu'un marchand d'Osaka milliardaire et s'il coupe la tête à ce dernier qui ne l'aura pas salué avec assez de déférence, personne n'y trouvera rien à redire. Le contraire de nos "civilisations" fondées sur la richesse en quelque sorte...
Magnifique ouvrage de réflexion sur la symbolique du suicide, qui transcende l'âme japonaise et qui explique aussi le geste de nombreux suicides qui étaient incompris à l'époque contemporaine comme ceux des écrivains Kawabata ou Mishima, malgré le fait que la pratique du seppuku soit interdite depuis le XIXe siècle.
A noter aussi que l'auteur du livre fut très respecté au Japon et que son enterrement a eu lieu dans un temple japonais, il entre dans cette grande tradition des auteurs français adepte du Japon. En cela, c'est une très grande lecture à la fois érudite et accessible aux profanes.