Chaque assassin est le vieil ami de quelqu'un
Première œuvre d'Agatha Christie publiée en 1920, "La mystérieuse affaire de Style", est aussi la première enquête du célèbre Hercule Poirot.
Et quelle enquête! Pourtant, c'est Hastings qui semble être le personnage principal de l'intrigue, Hastings et ses états d'âmes, Hastings et ses déductions qui lui paraissent aussi logiques qu'elles sont erronées, Hastings, habile à tout raconter, à ne rien comprendre, et à tomber des nues quand son ami Hercule Poirot, qu'il compare fréquemment à un chat, lui dévoile tous les tenants et les aboutissants de l'intrigue. Je ne vois pas meilleur narrateur des enquêtes d'Hercule Poirot que lui.
Comme souvent chez Agatha Christie, la famille est au cœur de l'intrigue. La victime Mrs Ingelthorp a beau avoir élevé ses deux beaux-fils, secouru une nièce pauvre, soutenu l'effort de guerre, elle n'en reste pas moins peu sympathique, parce qu'elle donne ce qui lui est superflu, oubli le nécessaire et exige toujours une parfaite obéissance à son égard et sur tous les points, y compris la vie privée. Qu'elle soit tombée amoureuse d'un homme plus jeune qu'elle et qu'elle l'ait épousée si rapidement montre son isolement au sein de sa propre famille.
Chaque suspect – car chacun suspecte la personne qui lui est la plus chère – ne cherche pas à se défendre mais à protéger la personne aimée, d'où des mensonges, des dissimulations qui servent les desseins du coupable et il faut vraiment tout l'acharnement d'Hercule Poirot à la fois pour faire emprisonner le coupable et assurer le bonheur de chacun, au grand dam d'Hastings.
Loin des romans policiers actuels, j'ai apprécié ce côté désuet: un crime dans un manoir familial, en pleine campagne anglaise, un nombre réduit de suspects. Exit l'hémoglobine, la brigade criminelle, les détails macabres,... Bienvenu plutôt dans le BA-BA d'une enquête policière. Les détails sont expliqués un à un et s'imbriquent les uns aux autres comme les pièces d'un puzzle, le lecteur oscille entre plusieurs théories pour toucher du doigt le criminel et s'apercevoir que finalement ce n'est pas lui.
Notre auteur connaissait les règles du roman policier sur le bout des doigts, au point d'éprouver, parfois, l'envie folle de ne pas les respecter. Agatha Christie est intelligente, elle sait que les suspects trop évidents ne font pas des coupables plausibles et seront éliminés directement par le lecteur.
Et elle savait que nous savions qu'elle savait que nous savions...