Il faut accepter de se laisser mener en bateau

En lisant le résumé de ce roman, je m'attendais à retrouver quelque chose du magnifique "Destination Ténèbres" de Frank M. Robinson pour l'aspect "vaisseau générationnel", voire du très intéressant "Dominium Mundi" de François Baranger du fait des thématiques religieuses abordées... Finalement j'y ai surtout trouvé ce que j'attendais de "Rendez-vous avec Rama" d'Arthur C. Clarke, car, sans trop en révéler sur l'intrigue, celle-ci tourne principalement autour de la découverte et l'exploration d'un mystérieux vaisseau extraterrestre en apparence vidé de ses habitants... Mais à l'inverse de "Rama" qui ne m'avait fait ressentir qu'ennui et agacement, j'ai totalement adhéré à "La Nef des fous". Une narration efficace constituée de chapitres courts, une lecture prenante, sans temps morts... Je crois que c'est précisément ce dont j'avais besoin après avoir peiné sur les lourdeurs et les longueurs d'"Ivanhoé" de Walter Scott. Résultat, j'ai dévoré "La Nef des fous" en deux après-midi. Et pourtant, ce n'est pas un roman que j'irais recommander à tous sans réserve, ayant bien conscience qu'il peut être assez clivant.


Il y a les lecteurs qui acceptent de se laisser mener en bateau par l'auteur, et ceux qui tiennent absolument à obtenir des réponses claires aux interrogations soulevées. Ces derniers feraient mieux d'éviter "La Nef des fous" sous peine de ressentir une terrible frustration. Car si Richard Paul Russo prend un malin plaisir, tout au long du roman, à nous lancer sur de nombreuses pistes, il faut savoir que la plupart d'entre elles ne trouveront aucune résolution une fois la dernière page tournée. D'aucuns y verront sans doute une facilité de l'auteur, qui renoncerait par paresse à refermer toutes les portes qu'il a ouvertes. Pour ma part, j'y ai plutôt vu un choix fort, tout à fait cohérent dans le cadre d'un récit à la première personne. Nous sommes littéralement dans la peau du narrateur, Bartolomeo : nous voyons ce qu'il voit, apprenons ce qu'il apprend et ignorons ce qu'il ignore. Bien des auteurs auraient sorti de leur chapeau la découverte d'un super-ordinateur ou la capture d'un prisonnier destinés à révéler aux explorateurs et, par conséquent, au lecteur, tous les secrets du mystérieux vaisseau alien ; rien de tout cela ici. De la même manière que Bartolomeo demeurera avec ses doutes, le lecteur demeurera avec les siens.


La rencontre de deux vaisseaux perdus dans l'immensité de l'espace : nous sommes évidemment dans un contexte de science-fiction, et pourtant, dans son esprit "La Nef des fous" penche du côté du fantastique. On a en effet une atmosphère glaçante, une tension permanente, avec cette menace extraterrestre que l'on ressent sans presque jamais la voir en action, et quelques scènes flirtant avec l'épouvante. Mais surtout, loin de donner des explications logiques à des phénomènes extraordinaires, Richard Paul Russo nous maintient sciemment dans le flou et, comme Bartolomeo, nous sommes amenés à envisager diverses hypothèses, allant du rationnel / scientifique au mystique / religieux, tout en sachant que ces phénomènes dépassent certainement les capacités de compréhension de l'être humain. Pour les lecteurs que de grands mots comme "métaphysique" risqueraient d'effrayer, il faut souligner deux choses : d'une part, on reste dans le cadre d'une science-fiction de divertissement, inutile donc de craindre de longs développements philosophiques ou théologiques ; d'autre part, l'aspect religieux est important sans être envahissant, et son traitement demeure nuancé et équitable : on a ainsi parmi les protagonistes une figure cléricale négative en la personne de l'Évêque Soldano, homme ambitieux et cynique, et une positive, avec Père Veronica, femme aimable et compréhensive ; on a en outre un narrateur fondamentalement athée, mais qui aimerait trouver du réconfort dans la foi et regrette d'être incapable de croire.


En bref, "La Nef des fous" est un roman qui m'a beaucoup plu, et qui plaira sans doute à de nombreux lecteurs, férus de science-fiction ou non... mais qui, du fait de choix narratifs risqués, pourrait dérouter, voire laisser un goût amer à certains.

Oliboile
7
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le 2 sept. 2017

Critique lue 217 fois

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