C'est un bon livre pour apprendre de nouveaux mots.
Et si cela peut sembler réducteur, cela n'est qu'interprétation,
car pour moi ça en dit long.
Je vous vois hésitant cela dit, donnez-moi donc votre pied : que je le mette au sabot.
Car c'est un texte qui piétine, qui piétine presque l'humanité entière parfois, mais aussi qui se piétine.
De la même manière que les bigoudènes piétinaient la terre battue de leurs propres sols de ménage en organisant des fest noz.
(À quoi pensiez-vous que servaient ces réunions bretonnes ? C'était du génie civil voyez-vous. Ce n'est devenu essentiellement festif que par la suite, par dépit probablement d'avoir découvert le carrelage)
Il se piétine et piétine par exemple dans ce « Pseudo-sonnet pessimiste et objurgatoire ».
*Père qui m’engendras du tarse au métacarpe,
malgré Schopenhauer et la loi de Malthus ; –
toi mon appartement lorsque j’étais fœtus,
ma mère : – et toi Parrain dénommé Polycarpe ; –
maître qui m’enseignas (oh ! merci !) que la carpe
est un cyprinoïde et, qu’en latin hortus
traduit le mot jardin ; – Flamande sans astuce,
nourrice au lait crémeux, simple enfant de la Scarpe ; –
prêtre qui m’aspergeas de l’eau du baptistère
et par qui je connus (sublime et doux mystère !),
vers l'âge de douze ans, la saveur du Sauveur,
hélas ! ne pouviez-vous, me prenant par l’échine,
quand je bavais, môme gluant, déjà rêveur,
m'offrir à des cochons comme l’on fait en Chine ?*
(Et pensez bien que ce n'est probablement pas l'Asie qu'il objurgue principalement ici... nous y reviendrons)
Ce sont des poèmes, du sonnet à la palanquée d'alexandrins concaténés, sur lesquels il faut passer et repasser, comme la ménagère je vous le disais, pour au minimum parvenir à ne plus trop plisser les yeux sur les mots, français je vous assure, mais tout à fait exotiques.
Faut dire qu'il a la rime riche. Il fait même des rimes, jeux phonétiques, en \kɑ̃.ɡu.ʁu, rendez-vous compte ! ;
Dans le crâné scalpé du sachem Ko-Gor-Roo
Boo-Loo, j'ai puisé l'eau des torrents d'Amérique !
Pour faire un grog vive l'Acide Sulfurique !
Tout petit je suçai le lait d'un kanguroo !
... pour une telle rime bien sûre, il faut partir loin.
Au plaisir de la belle forme, le lecteur est presque sacrifié : le moindre faux pas retire l'oing.
(l'oing est hors-sujet ici (quoique) mais je cherchais une rime en abîme. Les rimes de Georges Fourest sont si riches qu'elles flirtent avec le jeu de mots. Certaines en sont, même, tout simplement).
C'est si riche que ça en devient indécent, et à dessein je pense.
La poésie parce qu'elle est trop belle semble tourner en dérision, et se tourner en dérision, mais n'a jamais été (d'après mes peu de souvenirs) aussi, comme je le disais, belle. (Et je ne parle même pas de l'humour qui brouillerait les pistes de ceux qui n'y voient rien de sérieux)
L'irrévérence devient salvatrice.
Disons que ça maltraite pour rendre meilleur.
L'héroïsme à l'occidentale, celui du colon qui se rassure, toujours d'actualité, en prend pour son grade.
Tout ce qui fleure finalement c'est l'humilité, exacerbée dans la virtuosité.
Ça nous met la tête à l'envers, c'est un pied de nez.
À l'image de ce « pseudo-sonnet asiatique et littéraire », dont l'épigraphe résonne avec la chute :
L'extrême Orient s'européanise de plus en plus : l'Inde, le Japon, la Chine, la presqu'île indochinoise dévore aujourd'hui nos romans et nos brochures.
TELESPHORE COULAUD, juge de paix.
*Emmi les hauts roseaux, les rotangs et les joncs
que réfléchit l'étang mauve où nagent les cyprins,
la frêle Hadja-Sari, fille des mandarins
au teint jaune citrin navigue dans sa jonque ;
La salangane vole, effroi des moucherolles,
à son nid de fucus, potage expectatif ;
un friselis frivole affole les corolles
des lotus fiers d'avoir Loti pour génitif ;
on entend miauler un tigre dans les jungles.
Or, de ses doigts menus que terminent des ongles
pointus, Hadja-Sari, princesse de Bangkok,
avec un geste mièvre et des mines jolies,
feuillette, abandonnant la rame à ses coolies
un roman très cochon que signa Paul de Kock*
Oserais-je faire le rapprochement avec le conseil des Indes qui, réuni à Lima au Pérou, en 1543, prohiba l'impression et la diffusion des romans de chevalerie ou autre chansons de geste sur toutes les terres américaines qu'il venait de conquérir.
Furent interdits, dixit le décret, les « Amadis et autres histoires pleines de mensonges similaires », car « les Indiens éduqués à la lecture abandonnaient les livres de sainte et bonne doctrine [aka les livres de catéchèse] ».
Un professeur à moi, fort sympathique, avait une autre théorie implicite et soupçonnait (avec toute la réserve du petit sarcasme) tout simplement les conquérants espagnols de jalousement se les garder pour eux, ces romans songes. Et leurs scellés gardés poreux et gros mensonges.
Alors, compte tenu de cette hypothèse invérifiable (mais truculente), le poème de Georges Fourest exprime-t-il l'esprit concerné et politiquement correct de l'Occident face aux (in)conséquences culturelles de son colonialisme à l'œuvre depuis longtemps ? Comme une manière de reconnaître ses méfaits (passés et présents qu'ils étaient) ? Ou exprime-t-il une ironie plus forte, qui existe depuis toujours, qui va un peu plus loin, plus insidieuse donc, car présentée comme implicite donc subie, et non reconnue, et donc probablement aussi de notre époque, présentant le méfait non comme le dommage collatéral d'une conquête regrettable, mais bien comme le dommage collatéral d'une convoitise qui ne fut jamais vraiment assumée, toujours à l'œuvre donc, hier comme aujourd'hui, une convoitise non pas dirigé vers l'Asie mais vers tout ce qui est, et qui par renversement inhérent au déni, se serait développée et transformée en boulimie? (Diplomatique cela dit, j'en conviens). (Voir touristique)
Dur à dire. Peut-être vais-je trop loin ? Ce que je sais en tout cas, c'est que le lotus se moque d'avoir Pierre Loti pour génitif. Et que Georges Fourest le sait.
Et comme le dit ce fameux Willy de la préface (je n'ai pas plus d'informations sur le personnage, je n'ai pas cherché non plus, faut dire), il est compliqué de se fixer, comme il est compliqué soit de se formaliser, soit de ne se sentir qu'heureux à la lecture, des beaux vers de Georges Fourest : « et je vous conseille, sur toute chose, de ne vous point gaudir de son sceptre surmonté d'une tête grotesque et garnie de grelots : il frappe dur sans que l'on puisse s'indigner des coups à la fois sournois et impertinents qu'il dispense. » nous dit ce cher Willy.