Au début des années 1920, aux États-Unis, la plupart des Indiens ayant survécu aux exterminations méthodiques des colons sont parqués dans des réserves. Tous, à vrai dire, sauf ceux de la tribu Osage. Après avoir été repoussé de leurs territoires d’origine au fil des années, ils ont fini par accepter l’offre de terres arides et minérales au fin fond de l’Oklahoma. Un cadeau à double tranchant pour ceux qui ont condescendu à leur faire ce présent qu’ils pensaient misérable : le sous-sol s’est révélé extraordinairement riche en pétrole, assurant la fortune des Osages qui en avaient la propriété exclusive.
Une telle situation ne pouvait évidemment pas plaire à tout le monde.


Un jour, deux membres de la tribu disparaissent. On retrouve la femme abattue d’une balle dans la tête. S’ensuivent des empoisonnements, l’explosion d’une maison, d’autres disparitions, d’autres meurtres. La terreur s’empare des Osages, ces Indiens qui vivent comme des colons – voire mieux que la plupart d’entre eux, puisqu’ils ont même des domestiques blancs… Un affront insoutenable pour certains. Les premières enquêtes sont bâclées, à tel point que le gouvernement fédéral se voit obligé d’intervenir. Un jeune homme de 29 ans, à la tête du BOI (Bureau Of Investigation), est chargé des investigations. Il s’appelle J. Edgar Hoover, il est assoiffé de pouvoir, et voit dans cette terrible enquête l’occasion de parvenir à ses fins.
Tout est en place pour l’un de ces grands drames qui nourrissent la terre américaine de sang et de violence.


C’est cette histoire ahurissante que David Grann, journaliste au New Yorker, narre ici par le détail. Et le résultat est exceptionnel à tous les titres. La Note américaine est avant tout d’une rigueur et d’une richesse documentaire formidables. Fouillant dans toutes les archives disponibles, suivant sur le terrain la piste des descendants des victimes comme des coupables, Grann s’attache à dresser le tableau le plus complet possible, et y parvient d’une manière magistrale. Même sans être familier avec l’Histoire américaine, on comprend tout, on saisit tout, et on apprend énormément de choses, en commençant par le parcours singulier de la tribu Osage qu’il faut bien maîtriser pour capter la suite de l’affaire.
David Grann du reste ne s’en tient pas à la seule restitution du drame, il va plus loin en intervenant dans le récit, pour ouvrir de nouvelles portes, élargir les perspectives de son histoire, et interroger la nature même de son pays, dont il est toujours utile de rappeler que ses racines baignent abondamment dans le sang.


La Note américaine est aussi un livre captivant – pour reprendre un cliché vieux comme le crime, il se dévore comme le meilleur des polars. Sauf que tout est vrai, bien entendu. Ce qui rend le récit encore plus fort, plus glaçant ; ce qui permet à David Grann de toucher au plus juste et au plus profond des âmes, que ce soit pour restituer la terreur des victimes ou l’horrifiante noirceur des meurtriers ou de leurs commanditaires. Le journaliste maîtrise l’art du romancier pour mener son histoire à un rythme implacable qui brise toute tentation de lâcher prise. J’insiste sur ce point, car la nature seule du récit suffit à justifier de s’y plonger ; mais la virtuosité littéraire mise en œuvre par Grann, restituée par la traduction puissante de Cyril Gay, participe largement de l’enthousiasme qui naît au fil des pages.


On peut comprendre que la parution l’année dernière aux États-Unis de la Note américaine ait secoué l’opinion publique outre-Atlantique. Ils n’ont d’ailleurs pas fini d’en entendre parler, car Martin Scorsese s’est emparé du livre et travaille en ce moment même à son adaptation sur grand écran. Un signe, parmi d’autres, de l’importance du travail de David Grann.

ElliottSyndrome
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le 26 févr. 2020

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