Trois notes... Trois misérables notes seulement sur Sens critique. Cela en dit long sur l'oubli et le désamour dans lequel est tombé Saint-Loup après la révélation de son passé durant la II GM.
Et pourtant l'œuvre est magnifique et profonde. Annoncée comme favorite pour le Goncourt 1953 avant que ne soit révélée l'identité de l'auteur et que tous les membres se rétractent (sauf Colette). L'écrivain nous entraîne au bout de la terre, sous ses latitudes australes où va se dérouler à la fin du XXe s. la rencontre tragique des indigènes fuégiens avec les premiers colons européens : loberos, missionnaires investis d'une quête évangélisatrice, éleveurs de moutons, aventuriers attirés par la fortune, criminels en fuite.
Si les noms ont été modifiés par l'auteur, l'histoire en revanche est bien réelle. L'évangélisation ratée de ces populations au mode de vie millénaire, plus adapté au climat extrême de la région qu'au mode de vie sédentaire imposé par les missions salésiennes, et plus tard, par les estancieros. Sans défense face à la maladie (tuberculose notamment) et les fusils, il ne faudra guère que quelques décennies pour constater la disparition de ces peuples aux noms aujourd'hui oubliés : Selknam, Onas, Yagans, Alakalufs.
Loin de cultiver l'angélisme de la rencontre avec ces premiers hommes ou d'entretenir le mythe du bon sauvage -- Saint-Loup les fait interagir avec son narrateur qui est un puritain Ecossais, doublement têtu donc -- nous avons là le récit implacable d'une communion impossible entre deux groupes humains que l'Histoire et la géographie opposent. L'auteur est assez sévère à l'encontre de l'ethos du civilisateur européen, incarné ici par les missions évangélisatrices, et ne cache rien des massacres exécutés par des chasseurs de têtes qui agissaient pour le compte de grands propriétaires européens ou créoles avec l'aval des gouvernements chiliens et argentins.
Une très belle lecture, à réhabiliter sans retenue.