Dans les années 1950, on allait voir les films pour voir des personnes exceptionnelles. Aujourd'hui, que ce soit sur internet ou au cinéma, le public préfère des héros qui lui ressemblent, à la médiocrité desquels il peut s'identifier, faire oeuvre d'empathie. C'est un peu pareil en littérature, il faut croire.


A 28 ans, E-ES accompagne dans le Sahara algérien un réalisateur pour lequel il écrit le scénario d'une biographie de Charles de Foucauld. Comme un touriste idiot, en redescendant d'une ascension, il se laisse emporter par son enthousiasme et perd le groupe. Il passe une nuit enterré dans le sable et a une vision : il se détache de son corps, devient une petite flamme, qui se joint à une grande : Dieu. Une grande joie l'envahit malgré sa situation. Le lendemain, il retrouve le groupe, cache pudiquement son expérience mystique, mais en sort changé à jamais. Il pense que la preuve de l'existence de Dieu est hors de notre portée, mais que l'Un existe.


E-ES a un sens du rythme. Ses phrases sont courtes et bien scandées, ses chapitres se ferment toujours sur une phrase qui appelle à lire le suivant, chapitres d'ailleurs fort courts et agréables à lire. Bref, du roman de gare par quelqu'un qui maîtrise la langue française, au point d'utiliser des adjectifs comme "labile".


Mais Dieu, si tu existes, que le contenu est ridicule et niais ! Je sais bien qu'il est facile d'être cynique face à un récit de spiritualité, et je ne suis pas du genre à tirer à vue sur ce genre de cible facile dans le paysage mental de notre siècle scientiste et pragmatique. C'est plutôt l'égotisme inconscient du narrateur qui me fait tordre de rire : à part Chateaubriand, qui pourrait romancer ainsi sa vie sans se sentir ridicule ?


Car enfin, le récit d'E-ES est trop parfait et huilé pour refléter la réalité : le guide touareg souriant et accueillant avec qui l'on arrive à discuter malgré le fossé de la langue (nombreuses incohérences à ce sujet) ; le groupe composé d'un couple venu se faire peur dans le désert, de deux scientifiques athées dogmatiques (un géologue et un astronome) et d'une catholique fervente, histoire que le récit puisse se terminer sur "il faut se situer entre ces deux extrêmes". Je n'appuierai pas trop sur l'utilisation du mot "indigène" pour parler de Moussa-le-Touareg-joyeux (p. 8), ou de l'impression, dans les premiers chapitres, d'être obligé de suivre le diaporama des vacances d'amis gentils mais un peu "touriste lambda". Je serai plus assassin sur la suffisance qui se cache sous certaines remarques



Jeune maître de conférences, j'amorçais une carrière qui s'annonçait féconde puisque, déjà normalien, agrégé, docteur, j'avais des chances,
si j'écoutais les rumeurs flatteurs de mes aînés, de "finir" à la
Sorbonne, voire au Collège de France
", p. 20-21



ou les nombreuses fois où E-ES fait référence à son corps d'éphèbe :



Une fois l'évolution achevée, j'admis sans enthousiasme que je passerais mon existence dans ce corps musclé, massif, athlétique
surmonté de traits ronds
, p. 41.



Moi, moi, mon nombril.


J'ai lu ce livre parce que ma maman me l'a offert et que je suis un bon fils, et par curiosité intellectuelle : maintenant, je pourrai dire du mal d'Eric-Emmanuel Schmitt en connaissance de cause.

zardoz6704
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le 17 janv. 2016

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