Ce n'est pas un secret pour qui suit ce blog : j'aime Eric Pessan, enfin, entendons-nous bien, lorsque j'écris cela, comprenez : j'aime les livres d'Eric Pessan. Je l'ai découvert il y a longtemps avec Les géocroiseurs et juste après avec L'effacement du monde, son premier roman, superbe, que je conseille vivement à tous. Je parle volontairement de ce premier roman, car j'ai retrouvé dans La nuit du second tour, la profondeur, la mélancolie, l'abîme dans lequel ses personnages s'enfoncent se posant mille et une questions. David et Mina sont deux personnes un peu perdues depuis qu'elles se sont quittées, David abruti par son parcours professionnel et sa peur de dire non à son responsable pour garder son emploi, Mina évoluant comme une somnambule, sans vraiment participer à sa vie. Et puis, quelques mois après cette séparation, survient une campagne pour l'élection présidentielle aussi lamentable que celle que nous subissons actuellement (qui pourrait bien se finir comme dans la fiction) : "Des années et des années de débats, de dénonciations, d'appels à l'intelligence, de luttes pour finalement en arriver là. L'addition des crises et des promesses trahies, des dépressions et des chances ratées, des petitesses et des rancœurs, des ego et des arrivismes, plus la conviction profonde que le pire ne se produira jamais ont permis que cela advienne." (p.129) Ces deux phrases peuvent décrire l'élection bien sûr mais aussi la relation entre David et son employeur. Sur fond de violence, de peur, de frustration, David et Mina évoluent, vont au plus profond d'eux-mêmes pour tenter de rebondir et se sortir de ce brouillard qui recouvre leurs vies : "Un jour, quelque chose devait fatalement céder, parce qu'il est plus facile de se rompre que de se transformer, de se déchirer que d'adopter une nouvelle forme. David habite une vie invivable, un champ devenu stérile de n'être pas entretenu." (p.16/17).
Ce roman est assez court, dense, formidablement écrit, les phrases élégantes, parfois très visuelles : "Des nappes de brouillard lacrymogène coulent au sol et lèvent des nuages à hauteur d'homme. Les volutes masquent la confusion, s'improvisent rideau, se tissent et se déchirent net quand un manifestant en jaillit, poursuivi par des policiers en civil." (p.102). L'écriture est sobre et travaillée, va à l'essentiel à l'intérieur de David et Mina, sans pour autant oublier de décrire les arrière-plans : ville en révolte ou océan déchaîné. Quelques chapitres du début et de la fin adoptent une ponctuation et un découpage particuliers marquant à la fois l'urgence de la situation et la déroute de David, Mina et plus globalement des Français accablés par le résultat de l'élection.
J'aurais aimé être plus léger dans mon propos, mais le bouquin est tellement en phase avec ce que nous vivons actuellement et qui n'est pas risible du tout que ça m'est impossible. Fillon sombre par trop de malhonnêteté et Le Pen grimpe haut, très haut, trop haut malgré une honnêteté aussi absente que celle de son confrère. La gauche est divisée comme jamais... J'ai rarement autant craint une élection.
Un roman -pour revenir à mon sujet principal- qui se lit lentement, malgré le feu dans les rues, qui se savoure pleinement et dont les deux protagonistes principaux risquent bien de marquer le lecteur durablement, j'ajoute une qualité littéraire indéniable et évidente, et voilà, un autre coup de cœur de ce début d'année.