Detroit, 2013. Un corps est découvert au pied de l’une des tours abandonnées du Brewster Project. Un jeune homme assassiné à l’identité inconnue. Il n’est qu’une victime de plus au milieu d’une ville fantôme, ce qui reste d’un rêve qui a viré au cauchemar.
1935 à Detroit, le lancement de la construction du Brewster Project par Eleanor Roosevelt est l’aboutissement d’un projet de construction de logements résidentiels d’envergure. Construits entre 1935 et 1955 ces immeubles ont été le berceau de quelques stars de la Motown des années 70 dont Diana Ross. Mais au fil des années le rêve s’est envolé, l’économie s’est effondrée comme la ville qui n’abrite plus que de rares habitants qui s’accrochent à leurs souvenirs ou qui n’ont nulle part d’autre où aller.
Judith Perrignon nous livre la chronique amère d’une ville qui a cru en son destin et pour qui tout s’effondre et laisse la place à la précarité et à la violence.
Il y a là Ira, enfant de Detroit devenu policier. Archie, son oncle qui voit son monde disparaître et qui essaie d’entretenir les souvenirs d’un temps où les enfants jouaient en bas des tours et où les junkies n’avaient pas encore envahi les décombres des immeubles. Sarah, médecin légiste, qui cherche à redonner une identité à ce jeune homme inconnu qui s’est fait tuer au cœur de cette ville perdue. Et puis, par un effet de miroir, l’auteure nous raconte la vie dans les années 60, celle de la mère d’Ira notamment. Un temps où tous croyaient à un avenir plus radieux. A un futur où les filles des voisins devenaient les Supremes et rencontraient un succès qui rejaillissait sur tous. Avant que le chômage, avant que la prison, viennent mettent un terme à ces rêves. Avant que l’état ne décide de rayer de la carte ces tours chargées d’histoires et de vies anonymes.
On sent la patte de la journaliste dans ce livre qui, s’il est un roman, n’en est pas moins très documenté, très vivant. Judith Perrignon nous immerge totalement dans la vie, dans les vies de cette ville et de ceux qui l’ont habité ou qui y vivent encore. Elle nous invite à partager leur désarroi face à la déliquescence de leur monde. Elle nous plonge dans ce monde d’hier, porté par l’énergie de l’industrialisation et de l’essor de l’automobile avant de sombrer, emporté par la crise. Et c’est alors une ville en faillite, détruite qui émerge. Judith Perrignon nous raconte aussi l’exploitation des hommes par une économie qui prend et qui broie, la spéculation qui gangrène tout autour d’elle, la peur qui s’infiltre toujours plus présente de jour en jour, la violence qui naît du désespoir et au milieu de ce chaos des vies qui subsistent, qui cherchent à faire durer un peu du rêve américain ou à ce que la mémoire ne meurt pas.
C’est un magnifique roman dont tous les personnages sont attachants et qu’on ferme avec regret. Un récit, il me semble, assez véridique de ce qu’a pu être la vie de la communauté noire de Detroit et ce qu’elle est encore aujourd’hui.