Dans les hautes vallées de l'Himalaya, la vie est rude et précaire, mais le temps y passe encore à un rythme naturel, laissant le loisir à Tesson d'observer la réalité de la vie et de réfléchir à la vanité des hommes, à la folie de notre civilisation qui a perdu ses repères et ne sait plus où elle va.
Comme l'auteur, je m'autoriserai de nombreuses digressions dans ma critique.


J'aime bien Sylvain Tesson. Chaque fois que je le lis, j'ai le sentiment d'une certaine connivence intellectuelle. Je comprends ce côté fantasque et casse-cou qui lui a valu son grave accident en cherchant à faire une surprise à des amis.
J'eus la chance de ne jamais tomber lors de mes acrobaties urbaines, mais j'eus d'autres occasions de me faire recoudre... d'autres imprudences... d'autres folies...
Que serait la vie sans cela? Le raisonnable m'emmerde!


Récemment, j'ai vu à la télé un documentaire sur la panthère des neiges. Après de longues marches, d'interminables traques, le réalisateur animalier réussissait à filmer une panthère. Fait exceptionnel, c'était une femelle avec un petit. Le réalisateur n'en revenait pas de sa chance d'avoir pu réunir pour la première fois sur un écran deux panthères des neiges, une espèce en voie d'extinction, quand tout à coup un feulement retentit auquel la femelle répondit avant de chasser son petit. Le commentateur nous expliqua qu'un mâle tuerait sans doute le jeune. Le petit écarté, la femelle appela le mâle qui apparu. Pour détourner son attention du petit elle alla au-devant de ce très gros specimen et se roula par terre. Un autre feulement retentit et un autre mâle, plus jeune apparut. Nous avions alors quatre panthères des neiges en même temps sur notre écran.
Mais que valent toutes ces panthères qui débarquent dans mon salon, alors que je suis vautré dans le canapé, un apéro à la main et de la charcuterie à portée? Je n'ai rien fait pour les chercher.
Je n'ai pas parcouru la moitié de la planète en avion.
Je n'ai pas fait ensuite des milliers de kilomètres en 4x4 pour rejoindre les hauts plateaux du Tibet.
Je n'ai pas visité de nombreuses vallées par -20° avec un sac sur le dos.
Je n'ai pas escaladé de gigantesques moraines à 5000 m d'altitude avec un air raréfié.
Je ne me suis pas levé le matin et extirpé du sac de couchage par -30° pour gagner un poste d'affut en altitude.
Je n'ai pas guetté des jours et des jours à regarder vivre une faune sauvage dans un milieu âpre, sans concession avec des vues immenses qui ramènent l'homme à sa juste dimension.
Je ne me suis pas interrogé lors de ces interminables affuts sur les rapports de l'homme et du sauvage.
Je ne me suis pas interrogé sur la condition humaine, sur la course folle de la civilisation tout en contemplant un des rares sites encore préservés.
Je n'ai pas fait de rapport entre l'environnement où elles sont nées et les différentes religions et philosophies. Mais sur ce point je ne suis pas d'accord avec lui. Pour moi, les religions monothéistes sont filles du désert (Sinaï, Judée et Arabie).
Je ne me suis pas laissé imprégner par le Tao, la Bhagavad Gitâ ni le Bouddhisme dans des milieux qui aspirent vers le néant, le renoncement ou le repli intérieur.
Je n'ai pas...


Les panthères qui ont envahi mon salon ne valaient rien, car la récompense est dans la quête, dans l'attente... et parfois dans l'apparition.


Il m'est arrivé d'aller en des lieux sauvages comme des montagnes ou au fond de gouffres, très favorables à la réflexion. Une fois, j'ai vécu une expérience que le livre de Tesson m'a ramené à la mémoire.
C'était dans le haut Atlas, une vallée perdue où les habitants résistaient encore et toujours à l'islamisation obligatoire (ça ne vous rappelle rien?). Ils étaient animistes et méprisaient ceux qui avaient cédé aux pressions pour "réussir" hors de leurs montagnes. Ils me montraient fièrement des ruines sur un sommet, m'affirmant que c'étaient les restes du château de Dihya la Kahina, leur héroïne, la célèbre reine guerrière qui défendit l'Afrique du nord contre l'invasion des Omeyyades (comment Hollywood a-t-il pu passer à côté de ce personnage?). Ils avaient aussi brulé la mosquée que Mohamed V leur avait construite dès qu'iI avait retiré les troupes qui la protégeait. Mais là n'est pas le sujet.
La souche des lions de l'Atlas était déjà considérée comme éteinte lorsqu'un survivant avait fait sa réapparition, tuant ici où là une vache ou une chèvre et semant la perturbation dans les villages. Des délégations étaient venues demander son intervention au dernier fils du Glaoui, leur chef traditionnel. Celui-ci réunit quelques hommes qui sortirent des fusils de leur cachette et partirent en quête du dernier survivant d'une race mythique.


Alors que certains, théoriciens fanatiques nous expliquent comment fonctionne la nature et comment "sauver la planète" et découvrent lorsqu'ils s'aventurent jusqu'au salon de l'agriculture que les vaches ne sont pas violettes comme sur les tablettes de chocolat, qu'elles ne rient pas comme sur les boites de pâtes de fromage, Sylvain Tesson se définit comme un citadin qui ne connait pas la nature, mais il s'y plonge, s'immerge, l'affronte, la subit, s'émerveille.
Il ne nous apprend pas à la théoriser, mais à utiliser nos sens pour nous en imprégner.
C'est pourquoi, si ce livre nous montre la voie, il ne pourra jamais remplacer l'expérience physique.


Aujourd'hui, je me contente d'aller en forêt avec mes chiens qui font fuir la plupart des animaux bien avant que je ne puisse les voir, mais il me suffit de savoir qu'il existe partout autour de moi "des yeux sans visage".

-Marc-
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le 13 déc. 2019

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-Marc-

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