Lorsqu'on apprend à l'époque que Richard Bachman est en fait un pseudonyme de Stephen King, celui-ci décide de le tuer d'un "cancer du pseudonyme". C'est un jeune employé de librairie qui avait remarqué des similitudes stylistiques entre les deux auteurs et avait enquêté pour dévoiler le pot au rose.
King beau joueur, décide de laisser la primauté de sa découverte au jeune homme en le laissant écrire un article.
Tout ça fait augmenter les ventes des livre écrits sous le nom de Bachman, et King se dit que ce n'est pas bien grave après tout.
Mais à ce moment, lui vient une idée: et si Bachman avait acquis une vie propre? Et s'il ne voulait pas se laisser emmener dans la tombe aussi facilement? Et s'il voulait se venger et continuer à écrire en volant la vie de King pour se l'approprier?
L'idée seduit King et lui inspire La Part des ténèbres à la fin des années quatre-vingt.
Une grosse partie du début de l'intrigue n'est d'ailleurs qu'un décalque dans l'univers fictif de ce qui s'est produit lors de la révélation de la double identité littéraire de King.
On retrouve dans La Part des ténèbres une bonne partie des angoisses Kingienne: son combat contre ses multiples addictions et l'impact que celles-ci ont sur sa famille, donc contre sa part des ténèbres personnelles et sur lesquels King écrit depuis le début de sa carrière, parfois à son insu comme avec Shining (il ne s'apercevra que bien plus tard qu'il était Jack Torrance); mais également son obsession permanente vis à vis du travail d'écriture.
Dans ce combat étrange d'un auteur contre lui-même mis en scène par King il y a tous les questionnements sur l'art de la fiction: d'où viennent les idées? Qu'est-ce que la créativité et comment s'exprime-t-elle? Ou encore Pourquoi ecrit-on?
Ce combat entre Beaumont et Stark peut être à la fois vu comme une allégorie sur la lutte avec la notion de célébrité littéraire, la lutte contre lui-même que tout auteur se doit de mener pour parvenir à écrire quoi que ce soit, voire même l’inquiétude de n’être pas tout à fait aux manettes et d’être le jouet de forces extérieures qui le dépassent.
Mais si d’un point de vue allégorique La Part des ténèbres fonctionne parfaitement et que tous les éléments qui s’y trouvent prennent un sens dans ce cadre, il n’en va malheureusement pas de même pour le récit en tant que tel, trop fantastique et abracadabrantesque pour fonctionner.
Si le thème du double fera invariablement penser à L’étrange cas du DR Jekyll et de Mr.Hyde de Robert Louis Stevenson la création d’un entité distincte plutôt que d’une double purement psychique partageant le même corps apparait immédiatement comme un peu excessive surtout mêlée à cette histoire de jumeau. Le coté invraisemblable de la situation est renforcé par des explications qui se trouvent par trop rationnelles (morceau du jumeau dans le cerveau) quand le livre aurait gagné à rester dans le surréalisme et le poétique. De ce fait, King passe un peu à coté de son sujet. Restent quelques scènes marquantes, la confrontation finale entre l’auteur et son alter égo étant sans doute la plus réussie et la plus hallucinante avec la description apocalyptique du déchainement des psychopompes.
Un roman de King dans lequel se trouvent des idées, et des thèmes sous-jacents intéressants, et même certaines scènes très réussies, mais le tout dans le cadre du récit est trop mal équilibré pour déboucher sur autre chose qu’une petite déception.