"Pourquoi me fait-on du mal ?"
Ce qui est sacré en chaque être humain, c'est que chacun attend invinciblement qu'on lui fasse du bien, et non du mal. Ce cri qui retentit au fond de chacun quand on lui fait du mal, quand il éprouve l'injustice, c'est l'impersonnel. C'est dans ce muet anonymat que loge la beauté, la vérité et la justice.
Alors comment défendre l'homme quand ses institutions se basent sur le droit, sur une notion liée au partage, à l'échange et à la quantité ? Quand le ton impliqué est celui de la revendication ? Les cris de chacun devant l'injustice ne se traduisent pas dans le langage. Ineffables, ils sont récupérés par les professionnels du langages : les tribunaux, les syndicats et les partis politiques. Et ceux-ci vont exprimer eux-même les revendications des opprimés, dans leur langage élégant de privilégiés, de conquérants et d'oppresseurs. Quelle infamie que d'expliquer à un ouvrier que ce n'est pas son travail qui le fait souffrir dans sa chair, mais son salaire qui est trop faible. Le langage facile des chiffres est une explication trop facile à comprendre.
Il faut demander l'impossible, quitte à s'y perdre, il faut demander la justice. Il ne faut pas dire "J'ai le droit" mais "Ce n'est pas juste". Ce cri appelle à ce qu'il y a de sacré en chacun de nous, à l'impersonnel qui reconnaît le malheur dans les autres, quand le premier met en avant sa personne : c'est un cri de notaire. Imagine-t-on une jeune fille qu'on a commandé d'aller travailler dans une maison de plaisir invoquer le droit ? Que dire de ce malheureux dans le tribunal, balbutiant quelques galimatias quand le juge et sa cour le mitraille sur place avec leur langage juridique ? Ce n'est pas que le criminel ne doive pas être châtié d'aucune sorte, mais plutôt que la justice répressive a un goût amer de vengeance et de sang.
C'est pourquoi il est nécessaire de créer des institutions qui permettrait aux cris les plus silencieux d'être entendus, aux balbutiements les plus légers d'être écoutés, aux plus faibles d'être protégés, des pouvoirs répressifs des collectifs, fussent-ils totalitaires ou démocratiques.