La petite bonne de Bérénice Pichat est un fabuleux roman, véritable découverte de cette rentrée littéraire. Une bonne, rien qu’une simple boniche, va rendre la vie à un homme qui ne songe, depuis plus d’un an, qu’à mourir. De son handicap social, la servante découvre le pouvoir des arts, les mots, bien sûr, mais aussi celui de la musique. Seulement le destin ne déclare pas si facilement forfait…
La petite bonne n’a pas de mot et parle peu. Elle commence à raconter avec un style dépouillé, comme un poème presque chanté, en vers libre. Celle-ci est une femme de rien qui apporte l’espoir à un blessé de la guerre de 14-18, lourdement handicapé, pendant un week-end où Madame s’absente exceptionnellement.
Dans ce troisième roman de Bérénice Pichat, les classes sociales sont bien marquées dans les différentes maisons bourgeoises où La petite bonne nettoie, son seau rempli des accessoires indispensables pour laver et cirer même si chez les Daniel, cela n’est pas pareil !
La maison des Daniel est baignée dans l’obscurité de la vie renfermée autour d’un homme, coincé dans son corps immobile et inefficace pour tout, et celle de sa femme qui a accepté de se laisser emprisonner pour ne pas le laisser tomber. Avant, c’était un pianiste, talentueux, généreux dans ses interprétations, » mystérieux, inaccessible », et tellement séduisant.
La bataille de la Somme. Un chirurgien fier des chefs-d’œuvre qu’il a réalisés. Et l’homme respire, mange, regarde et parle, immobile et dépendant à jamais. La petite bonne est la seule que sa classe sociale oblige à ne porter aucun nom, ni même un prénom, interchangeable sans empathie. Pourtant, elle devient indispensable à l’accomplissement de la volonté de Monsieur Daniel.
L’autre voix est celle d’Alexandrie, Madame, qui accepte la prison dorée dans laquelle elle s’enferme depuis vingt ans. Ample et dégagé, le style se fait plus fouillé à mesure qu’elle peut de nouveau respirer l’air de ses envies de liberté. Une autre voix dévoile les pensées de Blaise, Monsieur, qualifié ainsi alors qu’il n’est plus rien. Ce n’est qu’à la fin que le lecteur découvrira qui se cache derrière la quatrième voix, celle qui s’écrit à gauche !
Tragédie en huis clos
Pendant un week-end, ce huis clos annonce une tragédie, et pas seulement au niveau du corps mutilé. Car, ici, les corps sont tous contraints, soit par le travail, soit par la violence physique ou la sensualité oubliée. Mais au-delà, l’esprit de chacun apprivoise l’autre.
Bérénice Pichat donne consistance à son intrigue autour de l’obéissance d’une domestique, du suicide assisté et de l’émancipation des femmes. Seulement sa réussite réside dans la justesse de ces portraits, particulièrement réussis et attachants où aucun pathos n’est présent. Le dilemme est posé, aux personnages d’y répondre selon leurs histoires.
Formidable roman, éclairant cette rentrée littéraire de la lumière puissante de l’histoire, traitée par Bérénice Pichat d’une façon si singulière qu’elle raisonne fortement aujourd’hui.
Chronique illustrée ici
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