Les deux Allemagnes
C'est quelque chose d'assez rare qui peut se produire à la fin de la lecture de La petite-fille de Bernard Schlink : revenir quelques pages en arrière, en se demandant si le roman était écrit à la...
le 27 févr. 2023
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Un style relativement plat, reposant beaucoup sur l'énumération et des métaphores pas toujours inspirées (un moment il compare la gamine à un chien, je crois). Une supposée exploration du présent par le passé, via la technique pas très originale du flash-black. Alors pas très originale passe encore mais là ou on pourrait imaginer une alternance ou une superposition ou un fondu dans laquelle se mêle le passé et le présent, ou autre chose, je suis pas l'auteur, m’ enfin un truc esthétique, non non, PAF tes trois chapitres du passé en un bloc une fois l'élément déclencheur passé (je n'ai pas compté mais vous avez compris l'idée).
Profitons-en au passage pour nous donner un panorama de l'Allemagne de l'Est, dictature pseudo-socialiste sur le modèle soviétique. Sans trop d'originalité : des uniformes, de la pensée unique, où on y envie l'ouest sans trop l'envier car après tout, on a fait les jeunesses socialistes, on est quand même pas très dégourdis pour pratiquer le "penser par soi même". Je ne suis pas expert de la période, il ne s'agit évidemment pas de défendre ce régime (que chez moi on appelle capitalisme d'état autoritaire) mais en tout cas, c'est du très classique, trop classique, un peu caricatural, ça manque d'humanité, de subtilité, de nuances, on est parfois pas loin des bottes à fermetures éclair. L'opposition est à peine évoquée... c'est tout tristoune... il n y a probablement qu'une seule marque de sauce tomate (voir pas de sauce tomate du tout D: ), on nous explique assez peu pourquoi les gens accrochent (et à quel point ils accrochent vraiment) ... certes ce n'est pas le sujet principal du livre. Le nazisme aura le droit à un peu plus d'égards, certes c'est le sujet principal du livre, mais j'y reviens. Le capitalisme libéral de l'Ouest n'est pas creusé du tout, encore moins ses conséquences voir ses liens avec le fascisme, of course. On a quand même quelques fulgurances sur les conséquences économiques (l'emploi, les diplômes) de la dissolution du régime de RDA dans un capitalisme victorieux et mondialisé, qui m'a rappelé La Fin de l'Homme Rouge de Svetlana Alexievitch, beaucoup plus intéressant et contrasté au demeurant sur un sujet similaire, à un pays près. C'est bien mais c'est peu. Jusque là, rien de très intéressant dans ce bouquin. Bon, elle arrive la petite-fille ? Ah oui, elle a pris son temps mais la voilà. Parlons alors des personnages.
Et bien, ils sont sans grande épaisseur, purement fonctionnels. Et ce malgré pourtant des tartines de dialogues intérieurs pour Kaspar, beaucoup de mots pour ne pas dire grand chose. Le grand-père (par alliance), Kaspar, donc, un peu perdu, veuf, cultivé, archétype d'une petite bourgeoisie libérale boutiquière planplan. La petite-fille, Sigrun, est embrigadée par ses parents dans une communauté à l'idéologie d'extrême droite, au pays du nazisme, plus précisément une communauté völkisch peu définie, mélange de néo-ruraux, de communauté à la Midsommar (en moins explicitement morbide mais plus explicitement nazie. Comparaison un peu exagérée mais j'aime ce film, ça m'y a fait penser), retraite pour anciens skin-heads ayant troqué les rangers à lacets blancs pour le Dirndl et l'habit de charpentier. Ils me semblent un peu plus chrétiens et un peu moins païens que les vrais völkish mais bon, j'y connais pas grand chose, vous me direz.
On voit comment on entre dans l'idéologie d'extrême droite, pleine de rétro-action cognitive, ou tout peut justifier l'idéologie, ou tout ce qui la contredit devient partie du complot, ou la pensée critique est hors de propos, hors de paradigme quand ce n'est pas interdite avec plus ou moins de subtilité. Car oui, la pensée d'extrême droite est un complotisme, avec un ennemi intérieur, caractérisé racialement ou culturellement la plupart du temps. C'est surement le point le plus positif du bouquin. Point positif aussi car parfois touchante cette relation parfois difficile mais pleine de sentiment entre Sigrun et Papi. M’ enfin c'est facile, quand même. Et surtout, c'est touchant quand ça fonctionne, quand ça fait vrai, car le peu de nuance et de complexité de ces personnages un poil unipolaires ne rend pas toujours (souvent ?) la chose très authentique. Et surtout, comment il la sauve, le papi ?
Mais par la Culture pardi ! La culture avec un grand Q, cela va de soi ! De l'opéra, de la musique classique... La même culture considérée légitime (à l'exclusion des autres) par ceux qui se sont historiquement totalement acclimatés au régime nazi, les bourgeois, une forme de culture qui ne devait pas trop attirer l'opprobre des nazis en dehors des compositeurs juifs cela va de soi. Mais Papi est timide là dessus, il ne faudrait pas froisser Sigrun, ou ses parents (non mais t'es dans un pays qui interdit les croix gammés dans les jeux vidéos, appelle la protection de l'enfance, chais pas, y à pas un truc à faire ? Bon, j'y connais pas grand chose en jurisme Allemand mais tout de même). Soyons honnêtes, il se demande à un moment s'il n'aurait pas dû y aller un peu plus franco (vous l'avez ?). Mais c'est avancé trop timidement par le livre pour que ce soit pertinent. Pas loin, dommage.
Acceptons, sa musique pour soigner les maux fachos, c'est pas de l'anarcho-punk, mais en même temps : c'est un Papi. Bon, il a rencontré la grand mère de Sigrun dans les années 60, il n'a pas non plus 150 ans m’ enfin, la culture légitime ça rend légitime après tout. Et puis au delà de la Musique (avec un grand M) de l'écoute, de la compréhension, oui. Montre moi ton petit piercing à croix-gammée, si je m'intéresse à toi, si je dialogue avec toi, peut être deviendras-tu moins nazie (sic) ? Oui, j'accepte de prendre ce biscuit en forme de croix solaire, trouvons un terrain d'entente, je fais un pas avec toi, regarde (sic). Pitié. Oui, il y a vraiment ça dans le livre. J'aimerais direque j'exagère mais même pas T_T . Et c'est pas les seuls exemples. Overdose de discours libéral complaisant avec les fafs (enfin les aaa, Allemagne aux Allemands ? Ça se dit ?). On voit que le livre a été écris par un vieux social-démocrate. Le livre a quand même la bienséance de nous montrer que ça ne marche pas, son truc, sinon on passerait de naïf à niais.
La mère de Sigrun a un peu plus d’intérêt, on y voit des raisons crédibles sur pourquoi elle est restée nazie, pourquoi elle accepte son nazi-mari machisto-patriarcal m'enfin bon, elle n'en pense pas moins idéologiquement et avec zèle, du coup, j'ai du mal à comprendre la démarche à terme. Le père a un peu de nuance de par l'amour qu'il porte à sa fille mais pas non plus des masses.
Et la grand-mère alors. Car c'est par elle que commence le livre, par sa mort, endormie saoûle dans sa baignoire, devenue alcoolique à force de se sentir ostracisée en Allemagne de l'Ouest (pourquoi pas mais ça fait un peu raccourci scénaristique), noyée. C'est par les documents qu'elle a écrit, refusant toujours à son mari leur lecture de son vivant, que ce dernier retrouve Sigrun.
Oui, j'ai failli oublier la grand-mère. C'est peut être l'érotisation de son cadavre (un des premiers trucs cringe dans l'ouvrage, dès les premières pages) qui m'a donné envie d'oublier... j'y reviens. Elle n'a pas non plus d'épaisseur, elle a été ballotée par les exigences du récit, bon... D'ailleurs, j'y revenais, rassurez-vous, les vieux mâles soc-dem/libéraux sont les mêmes en Allemagne qu'en France apparemment. Le male-gaze (c'est comme ça qu'on dit, ragez pas) lubrique et inutile aux apparats poétiques (mais juste cringe) dès qu'il faut introduire un personnage féminin (enfin pas la petite-fille, ouf, mais avec ces machins là, pas sûr qu'on était à l'abri...) parce que ça fait culture intervient de temps en temps sans n'avoir aucune portée esthétique ou importance dans le récit. On s'en fout que les Allemandes de l'Est aient des gros seins dans leur chemise bleue claire, vieux crouton. Une autre époque, dira-t-on (je veux faire peur à personne mais Enthoven n'est pas si vieux. Pardon, balle perdue.)
La petite-fille finira par lâcher son organisation (mais son idéologie, pas sûr) pour la musique, en exil en Australie. C'est important de voyager, en avion, elle qui de base n'aime pas ça (j'ai pas compris l'insistance de Schlink a montrer la conscience écologique de Sigrun, d'ailleurs mais je ne suis pas sûr de vouloir savoir, le livre m'a déjà assez gonflé idéologiquement comme ça) ça dénazifie un peu selon les ayatollah de la Qulture. Car le nazisme n'est bien sûr pas une construction socio-historique et cognitive mais bien un pitit peu d'ignorance, les pauvres. Ce qui la décide, c'est une altercation meurtrière entre son groupe de skins (bon, nationalistes autonomes mais c'est moins connu, skins c'est plus simple) et un groupe d'antifas. Mis dos à dos évidemment (je rappelle que nous parlons d'un vieux soc-dem membre du parti équivalent à notre PS à nous, enfin en gros, je connais pas plus que ça la politique allemande, mais ça à l'air un peu pareil, du coup) cela va de soi. C'est même avancé que tout ça n'est pas un problème d'idéologie mais de jeunesse en soif de rébellion et d'adrénaline. Au secours !
Autant là dessus que sur le départ sus-cité, le problème selon le livre c'est autant (plus ?) la méthode que l'idéologie, bon si vous connaissez le sujet, vous m'avez compris, m'est avis que c'est un peu claqué comme idée.
Quasiment aucune explication ou évocation socio-économique pour expliquer le nazisme et avancer une quelconque méthode de le combattre, évidemment. Aucune mention d'une idéologie de gauche au delà de l'aspect "petite bourgeoisie cultivée, j'aime les livres" d'un centre "gauche" pour laquelle les guillemets sont importants. Enfin si, les antifas sus-cités mais bon... avec quelle pertinence...
Malgré une critique relativement assassine, je met tout de même 5 car niveau style c'est plat mais pas non plus horrible. Ça se lit bien, comme on dit. Parce que la relation entre la gamine et son grand-père est touchante malgré tout quand on arrive à oublier les problèmes évoquées dans cette critique. Parce que niveau fond c'est médiocre mais pas plus que d'autres livres issus du même milieu et qu'il y a quand même, quand on cherche bien, des idées intéressantes. Intéressantes, pas originales mais nécessaires (elles mériteraient d'être plus au centre du livre). Quand je vois la moyenne qu'à ce livre sur SC, je me dis que peut être ces quelques idées seront nouvelles pour certains donc tant mieux. Dommage pour tout le reste. Ou alors c'est qu'ici on sépare le livre de ce qu'il raconte (avec une gomme ?) mais déso, moi j'y arrive pas.
Créée
le 17 avr. 2023
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