J'ai littéralement créé mon compte SensCritique pour pouvoir nuancer un minimum les dithyrambes que La Philosophie dans le Boudoir reçoit sur ce site, et rejoindre les (rares, mais heureuses) critiques négatives qu'on peut y lire.
Ce livre est mauvais.
Il est très surprenant de ne voir que des critiques développées expliquant pourquoi Sade est un génie et en quoi ce livre est une révolution pour - allez savoir quoi. Le brave marquis n'a jamais tenu à ce que de lui mémoire soit gardée, et à juste titre : je défie quiconque de trouver à La Philosophie le moindre intérêt littéraire, poétique, ou esthétique. Alors oui, certes, on me dira que ce n'en est pas l'objet : précisément. C'est bouquin porno, un « livre qu'on ne lit que d'une main », pour citer Rousseau, même s'il faut être sacrément tordu pour y trouver le moindre plaisir.
De fait, outre son manque total de style, d'inventivité, les fantasmes infâmes qui y transparaissent n'apportent rien (mais rien) à l'humanité, on n'en ressort pas grandi ou enrichi. Je n'ai pas de la littérature une vision pudibonde ou moralisatrice, pas du tout. Mais nous sommes ici hors du champ littéraire, de la para- ou de la sous-littérature qui n'a été sortie des poubelles de l'histoire que par la volonté des surréalistes (...) ou d'universitaires (... x2) voulant mettre dans leur vie, je ne sais pas, du poivre subversif, corrosif peut-être, à tout le moins malsain. Rien n'est bon dans ce livre, rien ne va, des enchaînements de positions impossibles, irreprésentables, que c'est à se demander pourquoi on les écrit (en fait tout simplement pour que Sade puisse déverser toutes ses pensées les plus immondes : mais publie-t-on aujourd'hui les carnets noircis par des pervers sexuels, des obsédés si dangereux qu'ils ont dû être internés ? Publierait-on le cahier de l'homme de cet épisode de What The Cut ?) aux délires incestueux et, oui, vaguement pédophiles (je parle de Sade, pas de Bastien Vivès - mais les deux méritent les mêmes gémonies), rien ne va.
On arrive au nœud du problème : pourquoi noircir ces pages ? Quel intérêt, sinon les érections de Sade qui jouit de ce qu'il écrit ? Le sous-texte (vaguement) philosophique, qui est aussi celui qui fonde toute l'œuvre de Sade, sur un homme naturellement mauvais dont les désirs doivent être assouvis sinon... bah on sait pas trop, ne pouvait-il faire l'objet d'un traité comme le 18ème siècle a su en produire ? Le seul vague intérêt qu'on peut leur trouver est dans l'histoire des idées : voilà les Lumières noires, les idées des philosophes et de l'athéisme/adéisme radicalisées à l'extrême. Mais cela ne méritait que d'être mentionné, pas comme un épiphénomène, mais presque.
Mais au-delà, qu'on m'explique l'apport de Sade à la littérature française. Ou à quoi que ce soit en fait. Donc oui, à un moment il s'agirait de grandir et de reconnaître que si on aime Sade ce n'est que pour se donner l'impression d'être un polisson, un filou, voire parce qu'on prend du plaisir à lire ces merdes.
Je passerai rapidement sur l'insertion grotesque du pamphlet « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » au sein du truc - qu'est-ce sinon la preuve que Sade met ce qui lui passe par la tête, n'a aucune idée, aucun projet ? Ne voyons en tout cas surtout pas là-dedans la preuve d'une quelconque volonté révolutionnaire du mec. Si certes il a joué sous la Révolution un rôle administratif ; si certes il a professé des idées athées, à tout le moins anticléricales extrêmes, peut-il vraiment être considéré comme digne de foi ? Où se place-t-il réellement dans sa narration ? Ses personnages principaux - dont il a partagé le monde, faut pas non plus se faire d'illusions - lisent le pamphlet presque comme un divertissement érotique, tout en chassant l'homme du peuple, le jardinier, lors de cette lecture, qu'ils rappelleront après : objectifié, il n'est là que pour leur offrir son énorme sexe. Et parler de façon caricaturale. Où le livre veut-il aller ? La perplexité où nous nous trouvons projetés n'est pas la perplexité dans laquelle nous plonge vraiment une œuvre d'art, elle est un mélange de dégoût, d'ennui, de malaise, et de colère de perdre son temps ainsi.
Dommage, Donatien-Alphonse-François.
Un dernier mot : je lis souvent que La Philosophie dans le Boudoir est l'un des livres les plus softs de Sade ; la quatrième de couverture de mon édition parle même d'un Shakespeare qui ne se serait pas censuré (on rêve hein) ; et limite que c'est beau parce que personne n'y meurt. Le dernier des dialogues est ce que j'ai lu de pire de toute ma vie (relativement peu longue mais suffisante pour l'affirmer ainsi) : pour éviter que mon compte ne saute tout de suite, je ne la décrirai pas, mais je préviens.